Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Météorique rédacteur en chef d'une émission culturelle quotidienne. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi... et même si des fois pendant plusieurs semaines il n'écrit pas, ce qui est son droit) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
Chacun ses goûts.
Voici les miens.
Loin du Gri-Gri depuis quelques semaines, j'évitais, presque courbé, le monde, depuis mon appartement, avec mon fils comme seul camarade de silence.
Lectures, dont le dernier Nicolas Rey (on n'en dira rien car il n'y a rien à en dire et puis, ce n'est pas un livre, c'est une sitcom de 50 minutes), une réédition d'un Limonov, celui avec poète et nègres dans le titre (du Selby avec des couilles, pas toujours percutant mais souvent au coeur d'une chose à la force irrésistible), une biographie de Saint-Jérôme offerte par ma mère (même si elle ne se fait plus la moindre illusion). Et bien sûr, la télévision. Beaucoup.
Un matin, Polisse, le truc de l'autre meuf (j'essaye d'écrire comme Maïwenn pense et filme). Non pas que je le snobais. Je l'écris souvent : je suis un perpétuel retardataire. L'honnêteté me poussera à avouer que j'avais cependant accepté l'idée de crever sans voir le film. Mais bon, 10 heures, Jules qui dort paisiblement, sa tête sur mon épaule, la pluie qui ricane pas loin, besoin de rien, zapping. Polisse. Je crois plus de deux millions d'entrées. Alors, pourquoi pas moi ?
Si j'étais cinéphile, je parlerais de film de merde. Mais je ne suis qu'un témoin...
D'empiler les sketches presque sadiques (la compassion ici n'est qu'un costume, une naïveté calculée, l'horreur), du plus supportable (la mère qui avoue branler ses enfants pour qu'ils s'endorment) au plus sale (beaucoup d'autres), de faire du France 3 Régions en Louboutin, de pondre une petite amourette bien paresseuse (Maïwenn succombe au flic bourru, sobrement incarné par Joey Morville, à l'époque officiel petit ami de la dame réalisatrice), petite truelle pour nous faire croire que ce petit monde existe, qu'il vibre, hurle, gueule, souffre, qu'il tient, de proposer l'une des fins les plus ridicules (formellement et psychologiquement) de l'histoire de notre cinéma (une des flics se suicide et, en parallèle, les images d'un enfant gymnaste qui revit), c'est presque choquant visuellement, intellectuellement et il se peut qu'on puisse démontrer qu'ici, le cinéma n'est plus le problème. On est ailleurs. Pas plus loin. Plus bas sans le moindre doute. Mais pas au cinéma. De la télévision pour riches. Maïwenn dégaine son camescope et dérive (sans continent à rejoindre). Je l'avais entendue se contredire je crois sur Paris Première. Elle revendiquait à la fois la fiction et la réalité, tout en les refusant tour à tour. Mais sans jamais ni rougir ni se démonter. Elle m'avait presque bluffé. Et puis, j'ai compris. Elle filme véritablement comme elle parle. Elle s'écoute beaucoup, s'interroge tout le temps et parvient même à s'abrutir elle-même. On ne filme pas comme on respire. Ça devrait même être le contraire. Filmer, c'est l'apnée. Mais j'arrête, elle va croire que je parle du Grand Bleu.
C'est vrai, j'ai ri lors de cette ultime scène suicidaire et acrobatique, mais de bon coeur, j'ai ri comme si la comédie l'avait volontairement emporté sur ces 90 minutes bien interprétées (les acteurs font le travail) mais globalement vides comme un ventre de pédophile gardé à vue. Elle voudrait être Cassavettes, j'imagine. Un truc mi classe mi éventuellement quand même rentable à un moment ou à un autre. Culte et bankable. Mais comment faire sans scénario ? Elle dit qu'elle a durement travaillé sur l'écriture ? Si elle ne ment pas, c'est alors qu'elle est médiocre. Nick Tosches m'a dit un jour “qu'avant d'écrire, il fallait lire, beaucoup, tout le temps, rien d'autre. Longtemps.” Maïwenn, pour à peine 20 euros et deux heures, pouvait s'offrir L627 de Tavernier. Juste ça. 20 euros, le prix du respect pour cet art qu'elle semble chérir de toute son âme (là, si on était dans Seinfeld, il y aurait des rires). Elle jongle, elle danse, elle souffre la petite, c'est une évidence. Mais elle filme, c'est plus fort qu'elle, que nous, on ne peut pas comprendre. Quand on veut être au coeur des choses, n'est-il pas indispensable d'oublier son nombril ? Maïwenn, dessine moi un poulet... (Hasard du calendrier, je tombe 24 heures plus tard sur Le Bal Des Actrices. Une révélation. Peut-être que Maïwenn a inventé une Nouvelle Nouvelle Vague et que moi, le retardataire... Une NNV avec un dogme: “Ne Dis Rien, Ne Pense Rien, Ne Filme Rien.” Dans ce cas-là, je m'incline, demande pardon et reconsidère l'oeuvre comme il se doit. Nous assistons finalement à l'avènement d'une grande réalisatrice.
Comme dans Seinfeld...
Une question d'un internaute tombe à l'instant : “Maïwenn, c'est la fille de Maïté ?”. La question méritait d'être posée.
J'ai aussi gobé les dix ou onze premiers épisodes de Homeland sur Canal+. Grégory, croisé aujourd'hui en terrasse, dit qu'il ne connaît pas. Le premier, le seul. Tout le monde parle de Homeland. Sauf Greg. On lui pitche la chose. Il ricane.
Il a raison.
Texte et photo - Jérôme Reijasse
Nb: On écoute Wall Of Death, trio français qui sort un premier album, Main Obsession chez Born Bad. Un trip inespéré au pays des Téléphone et Superbus.