En 2007, alors que j'étais étudiant dans la ville de Strasbourg, en France, j'ai décidé de me laisser pousser une épaisse barbe. (…) Comme je ne portais pas de kippa ou autre couvre-chef, les gens qui me croisaient dans la rue supposaient que j'étais musulman. Je sentais que les agents de police et les passants me regardaient avec suspicion et, même aux heures de pointe dans le bus bondé, peu de personnes choisissaient de s'asseoir à côté de moi si elles pouvaient l'éviter. Un jour, quelqu'un m'a suivi jusque chez moi et a tenté de me provoquer en duel pour finalement découvrir que je n’étais qu’un Américain, abasourdi par ce qui m'arrivait, et non un Français musulman.
Jamais auparavant je n'avais connu un tel mépris ; cela ne s'est jamais reproduit depuis. Au quotidien, on me mettait dans l'embarras à cause de mon apparence (et de ce qui était supposé être mon affiliation religieuse correspondante).(…) Il n'est pas difficile, à mon sens, de comprendre comment il risque d'être fait mauvais usage de l'interdiction de la burqa pour stigmatiser davantage une population religieuse, une population qui se considère déjà comme étant en marge de la société. (…) Elle renforcera, tout au plus, la position des conservateurs religieux au sein de la population musulmane française en convainquant les musulmans modérés que le reste de la société française ne les acceptera jamais. (…) En admettant que le président français Nicolas Sarkozy soit vraiment convaincu par l'idée que la burqa est un « signe de soumission, un signe de corruption », selon l'édition du magazine The Economist du 16 janvier dernier, la meilleure réponse qu'il pourrait apporter à cela serait d'édicter des mesures visant à intégrer davantage les citoyens musulmans dans la société française. De telles mesures amoindriraient les efforts de la petite minorité de musulmans religieusement conservateurs destinés à regrouper des partisans parmi leurs coreligionnaires mécontents qui se sentent incapables de surmonter les préjugés anti-musulmans.
La nécessité pour le gouvernement français de traiter les minorités religieuses avec respect est portée par sa propre histoire. En 1781, le penseur allemand des Lumières, Christian Wilhelm Von Dohm, a fait une proposition qui, pour l'époque, était révolutionnaire : « Naturellement, la religion du juif ne l'empêchera pas d'être un bon citoyen, à condition que le gouvernement lui reconnaisse les mêmes droits que les autres citoyens ». Or ce sont les Français qui les premiers ont appliqué la vision prophétique de Dohm. En 1806, l'empereur Napoléon Bonaparte émancipa les juifs français en adoptant des lois visant à améliorer leur statut économique et social et en les invitant à s'établir partout où ils le désiraient plutôt que dans les quartiers pauvres et surpeuplés où ils avaient été confinés dans les villes ou de voyager de lieux en lieux dans les campagnes. En outre, il reconnut officiellement leur religion et affirma sa place définitive dans la sphère privée de la vie française.
Aujourd'hui, la France ferait bien de suivre son propre et admirable exemple et d'apparaître comme le premier pays européen à vraiment traiter les citoyens musulmans comme des participants au même titre que les autres citoyens dans la société. Renoncer à l' « interdiction de la burqa » constituerait une première mesure sensée.
Texte - Joshua M.Z.Stanton
PS : Joshua M. Z. Stanton est étudiant rabbinique au Hebrew Union College et rédacteur en chef adjoint du Journal of Inter-Religious Dialogue (www.irdialogue.org). Source : Service de presse Common Ground.
PS 2 : texte paru en français dans Les Afriques (www.lesafriques.com)