Le texte
D'abord, parce que Gbagbo Laurent est vivant. Ce qui change tout, convenez-en.
Sankara, c'est la Révolution. Saint-Just. La partie la plus pure du parcours idéologique d'un homme. Saint-Just a fini silencieux devant les traîtres qui le condamnèrent par incapacité de juger son oeuvre prodigieuse (la mort du divin Roi). Thomas Sankara a été assassiné de mort naturelle, comme dit le médecin commandant Diébré Alidou, qui certifia son décès, le 15 octobre 1987 à 16H30 - même si l'affront fut finalement corrigé, sur action de la veuve de Sankara.
Gbagbo, c'est après la Révolution : la République.
Lumumba était naïf. Sankara était innocent.
Aussi parce que Gbagbo n'a pas encore perdu le combat face à Blaise, la France et leurs restes. (La preuve : la somme d'efforts consentis quotidiennement par les médias de masse (AFP, RFI, Le Monde…) pour continuer de minorer son importance politique, de le déshonorer, de trahir ses propos et de lui prêter des intentions qui correspondent pourtant tellement mieux à ses adversaires).
Ce sont, dit-on, les vainqueurs qui racontent l'histoire. Ayant, comme chacun sait, gagné les élections, mais perdu la guerre, Gbagbo a déjà commencé le récit : "C'est l'armée française qui a fait le travail." (CPI, 5 décembre 2012). Toujours pas à ce jour de réplique historique métropolitaine.
Parce que le fondateur du Gri-Gri International Michel Ongoundou Loundah est pro-Gbagbo par Sankarisme étouffé (dans un sanglot) et que je vis avec mon temps.
Il faut apprendre la vie et l'oeuvre de Thomas Sankara à nos enfants, noirs ou blancs. Gbagbo, c'est aux adultes qu'il faut aujourd'hui le raconter.
Thomas Sankara : "Burkina Faso veut dire Patrie des hommes honnêtes" (Paris, Soir 3, 1984). Pas royaume, les copains : patrie. C'est tellement mieux, patrie.
Sankara et Lumumba, deux morts sans corps.
Par sa fin archangélique, Sankara renvoie au martyrologe et donc pas, pardon, plus à la politique.
Sankara avait raison, mais il a perdu en mourant. Lui aussi.
(Pourquoi n'a-t-il pas écouté ceux qui lui conseillaient de se débarrasser du beau Blaise ?)
Sankara est un rêve politique. Gbagbo demeure un projet politique.
Malgré tout : puissance de ses discours (Gbagbo fait pas le poids sur ce terrain-là, y'a que Sékou Touré qui cogne et groove plus). Force de son image personnelle impeccable (bien plus émouvante finalement que celle trop marketée d'un Che). Exécution annonciatrice et exemplaire (les rois nègres en place reçurent le message).
Je suis assez d'acc' avec Kouamouo : si Sankara n'avait pas été tué, il serait devenu le Chavez africain (le pétrole en moins, ajoutent quelques esprits chagrins sur les réseaux sociaux).
Mais Sankara a été tué.
"Discours que tout général qui se respecte devrait dire à ses hommes avant de monter au feu : "Tout mec qui se fait tuer, je le ressuscite et le fais exécuter pour trahison."" (Dominique de Roux, Immédiatement, 1972)
Son rigide marxisme de non-aligné sonne admirablement. Nous ramène invariablement et toujours subtilement aux rapports de forces et aux possibilités d'en jouer. À une permanente lecture politique des faits et des informations. C'est sur ce point qu'il manque le plus à notre époque.
"Je ne suis pas un Messie." Malheureusement si, d'une certaine façon. Comme tous les révolutionnaires morts avant d'avoir abouti.
Les plus marrants sont les gauchistes : comment peuvent-ils sans qu'aussitôt la foudre ne s'abatte obliquement sur leurs reins prétendre apprécier Sankara et sa devise, "La Patrie ou la mort", eux qui rêvent avec Tiken Jah d'ouvrir toutes les frontières ?
Même s'il n'y a pas de Gbagbo sans Sankara.
Si c'est pas Castro, le FLN algérien, Nasser ou Sékou Touré les modèles… si c'est pas ceux qui ont gagné, ceux qui ont tenu, ceux qui ont duré et usé les complots, ceux qui ont affronté le réel et la réalité du pouvoir, de ses violents rapports de forces, ceux qui ont subi la brutalité du système occidental répondant à leur modeste violence de colonisé qui s'émancipe, alors je préfère Gbagbo.
Photo - dr Texte - Grégory Protche
PS : texte initialement paru à Abidjan, in Le Nouveau courrier, 16/10/2012