Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri. (Et des fois, comme le 15 août tombe un lundi, y'a du retard à l'édition).
C'est l'histoire d'un mec...
Un mec que j'ai rencontré à l'Arapaho, une minuscule salle de concert dans le 13ème, qui n'existe plus aujourd'hui. C'était dans les années 90, celles du grunge (rires), des portables géants et des espoirs pas encore refroidis.
Le mec s'appelle Stéphane R. Il a un regard de viking-shaman, des cheveux qui hurlent, une chemise sauvage, des enveloppes dans la main. Qu'il distribue comme au hasard. À l'intérieur, un fanzine complètement barré. Des textes crachés, des visions, une certitude : le mec est dingue.
Quelques années plus tard, je recroise Stéphane. Habité, hanté même, incorruptible, le genre de mec à torturer sa guitare pour accoucher de petites chansons magnifiques à la saturation jamais tapin. Il est stagiaire pour le label où je bosse. Il s'agite, court, rebondit, prononçant des phrases souvent incompréhensibles pour le commun des mortels. Un jour : “Stéphane, ça te dirait de se casser du bureau et d'aller au cinéma voir Independance Day ? C'est la daube de l'année sans le moindre doute, on ne peut pas louper ça !” Il accepte. Nous voilà partis en taxi, direction le Grand Rex. Là, tout en haut, en VF, presque cachés, nous assistons à une invasion alien avec Will Smith en sauveur. On rit, on fume beaucoup à la sortie. On partage.
Le temps coule encore. On décide de former un groupe pour rire, pour rien. NK. Nazis Kebab (on était déjà cons). Une drôle d'expérience, où chaque musicien se doit de faire n'importe quoi. Branleurs, évidemment. Moi, je hurle mal. Stéphane, lui, gratte comme un poète barbare. On répète quelques fois, on fait cramer un ampli et on se casse sans demander notre reste. On sort un ep, l'année de la mort de Lady Di, sur Orgasm Records, le label de Stéphane. On lui dédicace d'ailleurs un titre, “Alma Bridge”. Notre pop est crade, idiote, nihiliste, improvisée. Elle se moque de tout, n'honore rien et nous fait du bien. Il n'y aura presque pas de suite. Juste un concert, en 2006, comme ça, sur un coup de tête, au Pop-In, vers Bastille. Sans chansons, sans plan d'attaque, on investit la scène et on braille, on tombe, on titube. Un moment inutile, gratuit, anecdotique. Un souvenir, un vrai.
On se perd de vue. Stéphane se marie puis divorce. Stéphane ouvre un minuscule magasin de disques. Il galère. Moi, je gagne mieux ma vie. Mais Stéphane continue à jouer. Avec son groupe, Acetate Zero. Plusieurs albums au compteur. Six je crois. Il vit pendant que je survis. Stéphane a toujours eu raison. Il a privilégié la beauté du geste à l'efficacité. C'est un homme intègre. Avec bien sûr ses errances. Un homme.
On se laisse des messages sans pour autant vraiment se revoir. De loin, on entretient le truc sans l'entretenir. J'apprends qu'il bosse désormais pour l'émission de Taddéi sur France 3. Il passe chez moi un soir. Il boit, on fume, on communie tranquillement.
Stéphane, je ne connais pas grand-chose de lui, je sais qu'il a une soeur, que son père a été gravement malade, qu'il écoute beaucoup de jazz et des groupes bruitistes pas répertoriés. Qu'il a joué au foot. Qu'il peint. Je sais, je sens surtout qu'il est fréquentable.
Là, il vit au sixième étage dans un petit appartement sous les toits. Avec Anne, sa compagne. Ils se sont visiblement trouvés. Ils s'aiment. C'est une bonne chose. Anne est enceinte. Stéphane est le père. Cet enfant a de la chance : il vivra au coeur de la lumière.
L'autre soir, après un repas rustique et un Daniel Darc fantôme cassé qui traverse la rue en s'adressant au bitume, Stéphane m'offre un cd, avec, en guise de pochette, un galet ramassé sur une plage. Un galet avec une tâche représentant une sorte de chien hurlant à la lune. Sur le cd, quelques chansons où Stéphane et Anne, loin de la merde, loin des Horribles, chantent sans rien attendre en retour. Mélodies de grenier magique, à la guitare électrique qui enlace et aux voix d'anges non pas déchus mais libérés. Ca s'appelle ASTATINE. C'est beau, intime, artisanat d'un monde pas encore tout à fait crevé. Stéphane est mon ami. Malgré les silences, malgré les longues séparations. Cette idée me rassure. http://acetatezero.pagesperso-orange.fr/
NB : J'ai aperçu la semaine dernière aux Halles, avec Greg, Patrice et Karim, Bertrand Cantat. Et le soir, Marie Trintignant à la télé.
Texte & photo - Jérôme Reijasse