Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
Cette semaine, je n'ai pas vécu.
Je travaillais.
Je suis devenu rédacteur en chef d'une émission quotidienne à la télévision.
Le titre pourrait être ronflant. La tâche est dure.
Je trime en compagnie de quelques hommes honorables. Le genre de mecs avec qui tu pourrais concevoir de crever au front, sous une pluie d'obus, un soir d'été. Ensemble.
Le genre de mecs qui font que tes journées ne riment pas simplement avec efficacité ou fuite.
Je ne peux plus ne rien faire.
Je ne peux plus ne rien faire.
Je n'ai pas vu un seul film depuis deux semaines. Sacha Guitry me manque. Je rentre, tard. Je dors, vite. Presque comme un bébé, moi, l'insomniaque, le zappeur de pleine lune. Le vampire.
Fini les semaines qui n'en sont pas. Le robot a repris du service.
Le travail chaque jour, quoiqu'il arrive.
Pour fabriquer de la HD, pour nourrir la TNT. Pour gagner de l'argent.
Tu repenses à ceux que tu aimes et qui cravachent comme ça, tous les matins, depuis des années, fatigués, déprimés, écrasés. Tu te sens moins seul, ce n'est pas très glorieux et ça te suffit.
Que la paresse est belle. Révolutionnaire.
Bien sûr, un labeur est aussi toujours une formidable aventure pour un peureux comme moi. On plonge là, on ferme les yeux, on ne sait pas pour qui et pourquoi on se bat mais on avance, pas simplement soumis, non. Maître d'un abrutissement choisi, parfois même lumineux. Jeudi matin, dans ma tête, alors que je montais les marches menant à mon bureau, la musique d'Indiana Jones, en boucles. Je reste l'enfant qui maudissait le réveil les matins d'hiver, quand la nuit était là encore, à rire et à t'annoncer l'après. Et qui tentait, plutôt mal que bien, d'inventer des mondes où le costume était plus facile à assumer.
Dans ces locaux qui évoquent une piscine roumaine abandonnée, au fond du quinzième (autant dire presque en province), je ris souvent. Je m'en souviens parce que ça résonne parfois, des jours plus tard, dans ma tête. Petite folie, tantôt harrassante, tantôt jubilatoire. Je lutte.Toujours difficile de briser un cercle. D'accepter à nouveau de fréquenter les autres.
Comme d'habitude alors, les petites choses, les moments volés, deviennent importants.
Dimanche matin, le soleil est content de me voir. J'aperçois la bande originale du Quadrille de Lemercier, composée par Burgalat, sur ma pile de disques en sursis. Burgalat, oui, le mec à lunettes dont je parle trop souvent pour que ce ne soit pas suspect (en fait, il me paye chaque mois, une petite enveloppe qu'il me glisse dans un bar, sous la table, du côté de Ménilmontant, en riant d'une manière résolument maléfique mais chut !). Le disque était encore sous plastique. Envie de danser avec ma femme, nous décellophanons la chose et nous dansons. Lentement (8 mois de grossesse), joyeusement. C'est magnifique. Dans un film. Burgalat guette, progresse, s'envole, tourbillonne, à pas de loup ou à coups d'ailes magiques. Je ne sais pas s'il aime Pierre, le Loup et Prokoviev. Mais J'aime les quatre pour les mêmes raisons. Je n'en demande pas plus à un artiste. J'ouvre le dernier tome de Walking Dead que Caroline m'a offert (un travail, ça t'empêche aussi de consommer et donc les autres s'en chargent pour toi). Je n'en lis qu'une page. Rêvant du moment où je déciderai d'enfin aller jusqu'au bout.
Et je vais au Parc. PSG contre Lyon. Je pourrais raconter le match mais je n'en ai pas la moindre envie. Juste que l'ambiance, par endroits, a ressuscité certains fantômes pas dégueulasses. Promesse ? Que Pastore a encore insulté la Ligue 1 en une seule action. De Grâce.
Que je suis rentré en taxi avec Karim et que nous avons parlé de sa grand-mère qui vient de mourir. Karim compte aller à son enterrement en Algérie. Il en parle comme ça, pas presque en passant mais avec la pudeur d'un valeureux citoyen de Melmac.
Quand j'embrasse mon fils en rentrant, encore planqué dans le ventre. Et ma femme. Que j'ai peur de les perdre. Que j'écris pour le Gri-Gri alors que je veux dormir parce que demain, ça recommence, PUTAIN.
Les petites choses sont toute ma vie.
Texte & photo - Jérôme Reijasse
Bonus :