Dans l'édition du 17 juillet 2015 de Voici - qui vaut bien d'autres journaux, hâtons-nous de le préciser -, apologie est faite du rappeur Nekfeu. Dans l'enviable rubrique "Presquepeople". Motivée par l'épatante trouvaille : "Nekfeu est une... graine de star !"
Hâtons-nous de préciser N°2 que nous n'avons rien ni pour ni contre Nekfeu. Qui, par surcroît, ne sera pas mis en cause ici.
Le chapeau mérite d'être, sinon tiré, au moins cité :
"Avec son flow et sa belle gueule, il incarne le nouveau visage du rap français."
Entre la belle gueule et le nouveau visage, quels persifleurs, ces Voiciens.
Suivent le CV du gaillard et...ses ventes - Voici s'intéresse aux arts et tient à ce que ça se sache. A les en croire, jamais personne n'aurait vendu si vite autant. (Argument qui condamne quand c'est pour Booba, Rohff ou Gradur...et ferait de Jean-Pierre François un géant auprès du nain Allain Leprest).
Le topo sur son pseudo est conclu - et enrichi, pourquoi le nier - d'un magistral "Wesh," virgule, "gros !", assorti d'un indispensable et jovial point d'exclamation. On riait déjà en 2001, en entendant, suite à la sortie des Princes de la ville, les Guillaume de maisons de disques s'encanailler eux aussi en wesh gros-isant intempestivement. Voici à l'avant-garde, donc.
Troisième point : Nekfeu a attaqué Charlie Hebdo. Han ! Quel vilain garçon, soudain.
Mais rassurons-nous, ainsi que le rapporte l'hebdo du people avec cette science synthétique qui fait l'admiration de toute une profession : "Après les attentats de janvier, il s'excuse et affirme qu'il n'est pas un fanatique : "Je me suis senti con", regrettera-t-il."
Là, bon, comme j'ai affirmé d'emblée, pour soutenir ma position, n'avoir rien ni pour ni contre Nekfeu, je m'abstiendrai de tout commentaire désobligeant - et il m'en coûte, mais ne tirons pas sur tous les pigeons en même temps. D'autant qu'il serait étonnant que Nekfeu ait précisément dit ces mots-là, dans cet ordre intentionnel-là.
Point suivant : Nejfeu a déjà été récompensé. Autant dire qu'il devient à l'instant "sexy demain", comme on dit en Bartheso-Birabenien. Succès et récompense. Les deux mamelles qui excitent le plus sûrement le cynique et blasé journaliste culturel français. Victoire de la Musique 2014...tenez-vous bien : "à la barbe d'artistes tel que Grand corps malade."
Mazette et love !
Il est né le divin rappeur blanc sans béquille !
Comme le rap est maintenant installé dans les médias français, le niveau de compétence minimale augmente. Aussi même un collaborateur de Voici sait-il qu'à la base du rap (avant qu'il ne devienne con-chiant), il y a les battles. Faut le savoir : les joutes de Nekfeu ont parfois atteint sur Youtube "plus de cinq millions de vues". Question : si les chiffres comptent tant chez Voici, pourquoi continuer de les écrire en lettres ? C'est chic, suranné ce qu'il faut, mais je suis certain que ça vous fait perdre des lignes...où vous pourriez mettre encore plus de chiffres !
Passons sur le point numéro 6, pour mieux y revenir - il fut le déclencheur de cette relecture appliquée, bienveillante et tendre -, et réjouissons-nous avec Voici de ce point numéro 7 où l'on apprend que l'ex-Miss France "Malika Ménard a craqué sur lui" - on dit pas plutôt craqué pour lui ?
S'enhardissant et, pour montrer qu'en rap il s'y connaît décidément, dans une vicieuse et réjouissante parenthèse, le journaliste clashe littéralement La Fouine (dont le charme serait moins évident que celui de Nekfeu). Double Han ! Comment ça m'aurait pas plu...je veux pas foutre la merde, Laouni, comme t'appelle Cyril Hanouna, mais à ta place j'aurais déjà emménagé dans le même immeuble que Voici !
Alors, que nous dit Voici dans son point 6 ?
Que Nekfeu est plus bobo que gangsta. Youssoupha aussi alors.
Ce qui suit oscille entre le sublime, le miraculeux et le subjuguant.
"Pour Nekfeu, l'inspiration se puise autant dans la rue que dans la littérature."
J'adore cette phrase. On passerait des journées entières à lister des lieux, des endroits, des espaces verts, des pistes de ski ou des salles de Boxe où, dans l'histoire des arts, l'inspiration s'est puisée. Et puis, on ouvrirait le crâne du Voiçard coupable pour les y faire entrer, ces listes.
Pour Voici, l'inspi, c'est dans la rue, si tu es rappeur, et dans la rue ET dans la littérature, si tu es Nekfeu.
"En promo - et non en interview, précision voicistique louable -, Nekfeu cite de grands auteurs comme Maupassant ou Steinbeck."
Serait-ce du mépris ou une sincère et non feinte admiration ?
Premier réflexe déductif : Nekfeu est au moins allé au lycée, où on lui a fait lire Bel ami (ou Le Horla) et Des souris et des hommes. Ce qui ne préjuge en rien de ses lectures suivantes, hâtons-nous de le préciser Numéro 3. L'histoire de la Littérature vient néanmoins, devant nos yeux ébaubis, de faire un saut qualitatif impensable : on sait maintenant de façon certaine, grâce à Voici, que littérairement le bachelier est plus fort que l'autodidacte ! Ockrent trouvait Solaar "intelligent" parce qu'il racontait ses aprèmes passés à Beaubourg à lire Prévert et Queneau. Dans Voici, Jean Genet se fait torcher par 200 000 jeunes gens par an.
Une citation de Nekfeu succède à ces diagonales intellectuelles phosphorescentes d'intelligence aveuglante : "N'importe qui, en se cultivant, peut accéder à ce qu'il veut."
Bizarrement, l'impression que cette phrase sort tout droit, en fait, d'un entretien au sujet du matériel qu'utiliserait Nekfeu pour ses sons. Un truc comme ça.
Et là, la perle, le chef d'oeuvre, la cerise gâteuse..."Bref, un anti-Booba !"
La notule aurait concerné le rapport à l'argent, la blingquaillerie, on aurait compris l'opposition entre Nekfeu et Booba. MAIS AU SUJET DE L'INSPIRATION, ET DONC LA POESIE, LA LITTERATURE, L'ECRITURE !!!
Déroulons l'innocent collier de clichés, développons-les un à un. Puisque Nekfeu serait l'anti-Booba, celui-ci se retrouve donc interdit d'inspiration puisée dans la littérature. Confiné à la seule rue. Ce qui fera rire ses détracteurs convaincus qu'il a eu une jeunesse dorée - sans se rendre compte qu'ils valident ainsi le génie artistique de sa composition de bad boy auteur. Loin de moi l'idée de vouloir compromettre la réputation de Booba en lui prêtant des lectures de jeunesse (Stomy a bien lu Croc Blanc quand il était petit !), mais je trouve particulièrement étonnant de les lui nier, au nom et en vertu d'on ne sait quelles observations anthropologiques, sociologiques, urbaines sûrement très intéressante...
Parlant de lecture, on ne saurait trop conseiller aux Voiseux celle des quelques pages de la Nouvelle revue française (Gallimard), il y a quelques années, dûes à Thomas Ravier (par ailleurs auteur d'un très agréable Scandale Mac Enroe, publié par Philippe Sollers) et consacrées à la prose de Booba. Sur un strict plan littéraire.
Décréter anti-littéraire la prose d'un auteur parce qu'on n'a pour tout bagage et exclusif prisme d'appréciation et d'évaluation des lectures de lycée. C'est idiot, dirait Jérôme Reijasse.
Faudrait-il envoyer, avec les disques, des analyses de textes, des fiches de lecture, des appréciations motivées et des références accessibles au cerveau du critique Voichien pour atteindre le statut convoitable de rappeur bobo ?
En attendant que l'auteur de l'articulet de Voici - "Pratrice Marzin", c'est courageux d'embaucher un mec qui sait pas écrire son prénom - nous explique, prochainement, en quoi, à la surprise générale, Nekfeu écrirait mieux que Booba.
Grégory Protche