Abdallah Ag Oumbadougou, le bluesman du désert à chech, guitare, belle voix, belle musique et beaux textes est mon dernier chouchou (il ne détrône pas les autres…). Enfant du Niger postcolonial, devenu indépendant en 1960, il est né vers 1962, près d'Agadez, au moment où les Touaregs se font ratatiner à cause de leur refus d’être des citoyens de seconde zone. Il s’offre une guitare à 16 ans et apprend à en jouer seul. Il prend la route à pied pour travailler sur les chantiers de Tamanrasset le jour, et faire de la musique la nuit. « Les clandestins africains rêvent de l’Europe, mais nous, Touaregs, ne rêvons pas de l’Europe, mais nous allons en Afrique. En Algérie ou en Libye, car nous sommes de la même famille », dit-il. Il commence à se faire un nom dans sa communauté, grâce aux cassettes pirates qui circulent. Il chante, en tamashek, l’amour, la dureté de l’exil et la nostalgie du pays. Kalachnikov à la main, il rejoint les rebelles opposés aux troupes régulières ; ses armes sont sa guitare et son magnéto à piles. Les accords de paix survenus en 1995, il revient au pays, et donne son premier concert à Niamey où il découvre sa célébrité. Il la met à profit pour former des jeunes à la musique, et fonde une association destinée à promouvoir la culture nigérienne, à aider les jeunes musiciens et défendre leurs droits.
Désert Rebel est le premier projet d’une série d’initiatives qui proposent la culture comme résistance à l’oppression politique et la marchandisation de... la culture. Courage, ce n’est qu’un début ! Ce disque est le résultat de la rencontre entre musiciens touaregs et français. La plupart des chansons ont été écrites, composées et interprétées (guitare et voix) par Abdallah : il s’agit de ses grands succès. Quelques invités y ont ajouté leur touche personnelle. Particulièrement émouvante, pour tout dire ma plus préférée, « Yangogo » : un duo avec Sally Niolo (de Zap Mamma), dédié à la mère : « Tu m’as envoyé au bout de la terre avec un grain de riz / En me demandant de te ramener tout un sac / Je pars, oh ma mère, sur le chemin / Et me demande si un jour le cordon ombilical se coupe. » Je peux te le dire mon ami : jamais !
Quant à « 70 litres », sur un tempo reggae de Guizmo (chanteur de Tryo), elle fait penser à Didier Awadi, en plus soft. Une chanson d’amour, « Tenertin » : ma belle gazelle, et deux « Niger blues » superbes. Et un appel aux Touaregs, les invitant à sortir de leur sommeil, à parler, lire et transmettre leur langue, car « L’Aïr se meurt, asséché par l’ignorance »
Texte - Jean-Paul Moche (Jeanne Folly)
PS : Desert Rebel, premier album labellisé « Culture équitable » et premier volet de la collection « Cultures et Résistances ».
PS 2 : paru initialement dans le n°74 du Gri-Gri International version papier