José est heureux. J’ai lu, tout au long de La rue Cases-Nègres, son bonheur de vivre et de le raconter. Même quand le récit de Joseph Zobel devient poignant, parce qu’une histoire de nègres ne peut pas être comique.
José habite avec sa grand-mère, m’man Tine, rue Cases, un alignement d’une douzaine de baraques, « et tout ceci s’appelle Petit-Morne ». Le matin, les adultes partent aux champs « lutter dans les cannes de M. le béké ». Les enfants, enfin libres, profitent de l’absence des parents pour se livrer à toutes sortes de vagabondages. Se délecter des contenus des canaris laissés pour eux, mettre à sac la case pou voler le sucre caché, se balader à travers les pruniers, goyaviers, pousser jusqu’à la Trenelle parce qu’il paraît que là-bas, les mangues sont énormes…
Paul, Soumane, Hector, Gesner, Victorine, la plupart des gosses sont en guenilles et doivent faire attention de ne pas déchirer plus encore leurs vêtements sous peine d’être battu. Chaque bêtise a sa correction. Chaque enfant a son adulte préféré aussi. Pour José, c’est M. Médouze, pour ses devinettes : « - Titim’ ! - Bois sec ! », pour ses histoires : « - Et cric ! – Et crac ! » M. Médouze parle de la Guinée, de l’esclavage, nous sommes en Martinique dans les années 30, José a sept ans.
Quand la bêtise est trop grosse, comme brûler la cabane de M. Saint-Louis après avoir bu une roquille de rhum, la punition est exemplaire. La maman de José, Delia, qui travaille en ville est prévenue. Pendant quelque temps, il ira aux champs avec m’man Tine. Ensuite il ira à Petit-Bourg, « à l’école apprendre un brin d’éducation et à signer son nom ». Et puis M. Médouze meurt. Tué par la canne.
Les premiers temps de l’école, à midi José déjeune chez Mme Léonce. Mais c’est une mauvaise femme qui abuse de sa gentillesse en l’asservissant à souhait. Il n’ose rien dire à sa grand-mère, mais le désespoir le ronge. Privé de jouer à cause de ses corvées, un jour, après avoir cassé une cruche, il n’y retourne plus. M’man Tine l’apprend bien tard, quitte la rue Cases-Nègres pour Petit-Bourg. Désormais, José est « un enfant du bourg ».
Ils habitent maintenant la Cour Fusil. José a de nouveaux amis, Raphaël, Michel qu’on appelle « Panse parce qu’il a un ventre épais », Camille, Vireil qui raconte d’extraordinaires histoires de gens-gagés…Et puis il y a George Roc qu’on appelle Jojo. Justin Roc, le père de Jojo, est un mulâtre et sa mère Mam’zelle Gracieuse ne vit pas avec lui. Sa belle-mère, maman Yaya, lui en veut et le fait battre sous n’importe quel prétexte. « Le temps s’écoulait, impassible, ou plutôt n’avait pas l’air de passer du tout ». C’est un soir en rentrant du catéchisme « ennuyeux et triste », qu’il trouve la case de m’man Tine pleine de voisines affairées. Elle est malade, on l’emmène à l’hôpital. José est de nouveau livré à lui-même et souvent affamé.
On interdit à Jojo de jouer avec lui. Mam’zelle Mélie chargée de l’épier a menti en racontant qu’il lui apprenait des gros mots !! Jojo va marronner. Parti rejoindre sa mère. M’man Tine revient. Les études se poursuivent, les examens se réussissent et l’obligent à un autre déménagement : Fort-de-France, il ira au cours supérieur et habitera avec m’man Délia.
Des mornes à la grande ville Joseph Zobel m’a promenée dans la Martinique de son enfance. J’ai facilement reconnu les lieux, les noms, les plats, les façons de parler, de s’interpeller… Tout m’était très familier. Je sais aussi qu’on le considère comme le pionner de la créolisation. Il décrit avec emphase le foisonnement des émotions juxtaposé à celui de la végétation, parfois de manière un peu scolaire mais toujours avec l’amour des gens de son pays.
Photo - dr Texte - Princess Erika