Responsable de Convergence Socialiste au Sénégal, Malick Noël Seck a durant la crise ivoirienne clairement choisi son camp. "Pour l'Afrique je défends Gbagbo", puis "L'armée française ne gagne que contre les Nègres !" sont encore dans toutes les mémoires. Jeté en prison par Wade pour avoir dénoncé son inconstitutionnelle candidature, il est devenu une icône de la jeunesse sénégalaise, mais pas seulement... Pour preuve, cet entretien à notre confrère ivoirien Abidjandirect. La Côte d'Ivoire étant sujette à la censure, généralement suivie de violences et d'emprisonnement, les journaux ivoiriens qui ont publié les propos de MNS ont du, et nous ne les en blâmons pas, en sacrifier certains. Le Gri-Gri s'est procuré l'intégralité de l'entretien.
Pour l'Afrique, je défends Gbagbo, sembliez-vous dire au plus fort de la crise post-électorale. Pourquoi ce choix ?
Plusieurs choses m'ont semblé évidentes tout de suite :
1 - La communauté internationale, en l'occurrence quelques présidents occidentaux, ne respectent ni le vote ni les institutions d'un pays africain. Et nous, Africains, pas davantage. Puisqu'il suffit que les Occidentaux nous disent que Gbagbo a triché pour que nous l'acceptions.
2 - Les régimes africains sont si faibles, si dépendants, si peu autonomes que même leur structure, l'Union africaine, n'est pas financée par eux... autrement dit : ils ne disent jamais officiellement autre chose que ce que leur commande de dire celle qui finance l'UA : la communauté internationale, en l'occurrence quelques présidents occidentaux...
3 - Si j'avais été ivoirien et Ouattariste ou pro-Bédié, à l'instant où Nicolas Sarkozy, le petit Wade blanc a menacé et manqué de respect au président Gbagbo, je serais devenu immédiatement pro-Gbagbo. Face à la menace étrangère, la nation, la patrie et leur défense doivent primer.
4 - Wade soutenait Ouattara… ce qui n'est jamais bon signe en termes d'éthique, de morale et de politique. Et d'intelligence. Car s'il y a bien un terrain où ces deux hommes, Wade et Ouattara, ne sont pas ceux qu'on croit, c'est bien celui de l'intelligence. Et ce n'est pas juste un mot. Ces personnes ne sont pas à la mesure intellectuelle de l'époque que nous vivons. Elles appartiennent au vingtième siècle.
5 - Ouattara est le libéral cheval de Troie de la droite internationale, conquérante, dominatrice et sûre d'elle.
6 - Je savais avant même d'aller à Abidjan l'impopularité de fait de Ouattara et donc son illégitimité : comment pourrait-on avoir gagné dans les urnes et pas dans la rue ? J'ajoute que la situation actuelle de la Côte d'Ivoire me donne raison chaque jour davantage. Des meurtres et des arrestations au quotidien. Mon camarade socialiste, Laurent Akoun, Secrétaire général du FPI, invité au centenaire de l'ANC sud-africaine, arrêté récemment et sommé de montrer les entrailles de son ordinateur ! Du racket. Du vol. Des viols. Des pillages. L'analphabétisation forcée par la destruction et la fermeture des universités (comme si étudier allait de pair avec s'opposer à Ouattara et Soro). Des déplacements de populations forcés. Le "rattrapage ethnique" prôné et revendiqué au sommet de l'exécutif. L'incompétence érigée en formation qualifiante. Les élites et les cadres ivoiriens à même de faire tourner l'Etat, les collectivités locales et le pays : réfugiés au Ghana, au Bénin, au Togo, au Liberia ou en exil à l'intérieur même de leur pays, chassés de leurs habitations... Pour l'Afrique, je continue de défendre Gbagbo. Et j'en profite pour saluer et remercier chaleureusement les résistants et patriotes ivoiriens. Je sais qu'ils ont suivi mes tribulations tragi-comiques en Wadie et je sais aussi qu'ils soutiennent notre combat pour l'émancipation. Lors d'une manifestation anti-Wade à Paris récemment, les Ivoiriens sont même venus, ont parlé à la tribune, nous ont soutenus. Ils nous ont donné là une grande leçon de sagesse politique, en dépassant les tiraillements, malentendus et désaccords. Au nom de la justesse de notre combat à Dakar, ils ont oublié notre défection lorsqu'ils affrontaient la France et que, cachés derrière Wade, nous nous taisions... nous savions ce que Wade faisait pour aider Sarkozy et Ouattara, et nous n'avons rien dit. Nous devons dépasser, transcender nos petites conditions nationales. On ne se libère pas de Wade ou de Ouattara sans se débarrasser du système qui les produits. Et attendre que ça change à Paris en espérant que mécaniquement ça changera chez nous, cela revient à accepter que nous ne sommes de fait que des sous-préfectures françaises ou occidentales.
Comment analysez-vous la tournure de la Présidentielle du 26 Mars ?
Je pense avoir répondu au-dessus. Wade doit partir.
Ne redoutez vous pas un passage en force de Wade ?
Sa présence à l'élection est un passage en force. Que pourrait-il faire de pire ? Gagner ? Peut-il gagner sans tricher ? Non, puisque sa présence seule relève déjà de la tricherie.
Pourquoi avez-vous décidé de soutenir Macky Sall ? Croyez vous qu’il tiendra ses promesses, une fois élu ?
Je n'en suis pas à demander à Macky Sall, qui n'était ni mon candidat, ni mon camarade de lutte, de tenir ses promesses. Il doit tenir la promesse qu'il a manifestement fait naître plus que les autres chez les Sénégalais : faire partir Wade. Il convient de l'y aider. Ce n'est ni un blanc ceing, ni un cri du coeur. C'est un choix politique et stratégique. Vous savez, nous pourrions aussi, par exemple, décider de nous accommoder plutôt de Wade, qui serait pour nous plus simple, plus évident. Avec un Wade encore plus déclinant, notre cause ne progresserait-elle pas plus vite encore ? Ce sont les termes en lesquelles se posent ces problèmes. Aujourd'hui, il me semble que dans l'intérêt du Sénégal, l'urgence, c'est de faire partir Wade. Pour des raisons "atmosphériques"! Avec lui, il y trop d'électricité dans l'air et pas assez dans les maisons. Nous avons probablement besoin aussi de paix et de calme, et pas d'agitation frénétique. Nous ne redoutons pas la mort, nous. Nous voulons changer nos vies. Une fois Wade parti, nous y verrons plus clair au Sénégal.
Mais je n'oublie pas qu'en 2000, jeune "sopiste", je votais Wade. Seulement Wade, serais-je tenté de dire, car l'urgence, pensions-nous, croyions-nous alors, c'était de rompre avec Diouf et quarante ans de pouvoir confisqué… avant de songer à prendre le pouvoir ou à y participer, il convient de se doter des moyens d'offrir au Sénégal une alternative et pas juste une alternance. Nous manquons d'idées politiques, de théories économiques, de réflexions sociales de fond. Nous ne sommes pas à la mesure des enjeux de notre temps. Nous ne connaissons pas nos pays. Nos peuples. Notre continent. Mais nous avons la prétention de les diriger et de les gouverner.
Photo & vidéo - dr & le Gri-Gri International Texte - Abidjandirect