1985-86. PSG est champion de France pour la première fois. Je ne colle plus les figurines Panini dans les albums. J'ai 15 ans. Comme je fais beaucoup de conneries dans ma région parisienne et qu'on m'espère un avenir de ministre, on m'envoie respirer un air plus favorable chez une tante à Manosque (Alpes de Haute Provence ou basses Alpes). Interne au lycée Félix Esclangon (boulevard Martin-Bret). La semaine nous avons la télé le mercredi soir seulement (celui des matches de coupes d'Europe et de ceux de l'équipe de France). Le week-end, chez Chantal, ma tante, pas de télé. Elle est contre. J'apprends les résultats de l'équipe de mon coeur en lisant le Provençal ou les visages déconfits et dégoûtés de mes camarades de dortoir le lundi matin. L'OM, comme aujourd'hui, patauge dans le ventre mou du championnat. Et Paris jamais n'a si bien joué. Ils ont une haine proportionnelle à ma joie méprisante de parisien exilé. Record d'invincibilité (27 matches). Rocheteau caracole en tête des buteurs. Fabrice Poullain s'époumonne génialement au milieu de terrain. Luis Fernandez est le meilleur joueur du monde. (À la coupe du monde mexicaine, c'est lui et Joël Bats, notre portier poète, qui rachèteront Platini et qualifieront la France contre le Brésil de Mister Zico et Docteur Socratès... "Allez Luis, vas-y.... Oui ! Oui, mon petit bonhomme !" hurlera Thierry Roland des années dans ma tête de Parisien soucieux d'informer la province que ce sont des PSG-iens qui ont qualifié la Gaule !!!). Safet Susic, mon dieu avec Maradona, (s')irrite, (s')énerve, illumine par ses ouvertures brossées, ses rateaux derrière la cheville (alors quasi inédits en France) et ses caprices, ses gourmandises d'esthète insatisfait. Le coach s'appelle Gérard Houillier. Il vient de Lens. C'est un prof d'anglais. Un intello qui se montrera d'une rare et criminelle bêtise avec Ginola quelques années plus tard. Sa formule tactique fonctionnera quasiment toute la saison. Et même si c'est sur les rotules, nous sommes champions. Ma scolarité part complètement en vrille. J'ai fait encore plus de conneries finalement à Manosque qu'à Savigny sur Orge. Mon année d'avance n'est déjà plus qu'un souvenir. Back to Paris. Mieux, pour me punir, ma mère décide de m'emmener avec elle, ma soeur et mon beau-père en vacances en camping en Bretagne. Assez proche de l'idée que je me fais alors de l'enfer. Je ne me baigne évidemment pas une fois. Le matin, je marche cinq kilomètres jusqu'au bourg le plus proche. Je joue au flipper. J'achète L'Équipe et France Football. Je les lis jusqu'à la dernière ligne. Deux fois. L'après-midi, j'écoute les Grosses têtes sur RTL (le sponsor de mon équipe). Et j'attends.
PSG a acheté cet été-là tellement de joueurs. Je n'en peux plus d'attendre de les voir évoluer. Au Parc des Princes d'abord, où je vais retrouver ma place. Boulogne bleu. Et mes copains. Olivier, Dan (qui cachait son étoile de David en entrant dans le kop), Bénito (qui avait les deux plus belles écharpes, "Beaucoup d'ennemis mais dans l'honneur" et "Notre histoire deviendra légende"). Au camp des Loges, à Saint-Germain en Laye, où ils s'entraînent et où nous nous sommes promis d'aller les voir en espérant pouvoir les approcher.
Michel Bibard (on déchantera vite). William Ayache (idem). Bien qu'ayant moyennement brillé au Mexique, ils ont eu droit comme leurs copains internationaux à de belles Mercedes offertes par la fédé. Claude Lowitz (défenseur stylé mais inconstant). Adorablement incohérent, le PSG a réussi à laisser partir le seul joueur dont il ne fallait pas se séparer : l'une des deux vraies idoles du Parc, Luis. (En plus pour aller chez le frère ennemi du Matra Racing). Et - pour compenser, j'imagine - a engagé les trois autres meilleurs buteurs du championnat !!! N'importe quoi. Aux côtés de Rocheteau, en pointe, il y aura donc Daniel Xuereb (qui "finira" à marseille, à sa place), Vahid Halilhodzic (qui a alors déjà 34 ans et un beau salaire) et... Jules Bocandé. On raconte alors volontiers que le président Francis Borelli (le meilleur, finalement, le plus "parisien" que nous ayons eu) achète des joueurs juste pour empêcher les autres clubs de le faire. PSG doit être vorace, cynique et insupportable. Il doit faire parler. Fut-ce à cause de ses affreux supporters. Des frasques pour fresques de ses dirigeants (Daniel Hechter au ballon quelques années plus tôt). C'est à ça qu'il sert. Sa mission originelle de club fondé par des Juifs et élu leur par les fachos.
L'année sera catastrophique. Nous finirons 7ème du championnat. Éliminés de la coupe en seizième. Sortis par une pauvre équipe tchécoslovaque au même stade en coupe d'Europe. Sans Luis, Safet n'a plus assez de ballons. Pas assez de marge pour son exigeant niveau de déchets.
Pourtant... tout avait magiquement commencé. Bocandé avait marqué 23 ou 24 buts avec le FC Metz l'année précédente. Au Tournoi de Paris, qui se déroulait alors juste avant le début du championnat, nous l'avions vu enfiler quatre buts en un seul match. À peu près ce qu'il marqua durant l'ensemble de la saison en championnat. Le plus décevant de nos quatre attaquants. Ce qui ne signifia pas grand chose cette année-là. Pour nous, l'explication était évidente, Bocandé était un de ces innombrables joueurs, stars dans un club de province où tout le monde jouait pour eux et qui se retrouvaient à Paris, dans la capitale, plus reconnus par personne dans la rue et évoluant dans une équipe où même les mauvais avaient un égo surdimensionné. On disait qu'il noçait aussi volontiers. Mais on dit ça de tous les joueurs noirs et ça n'a jamais empêché Ronaldinho de nous faire hurler de bonheur.
Jusqu'à ce que j'apprenne tout à l'heure qu'il était mort, je ne m'étais même jamais demandé ce qu'il avait fait après PSG, où il était allé - Nice, Lens, Alost (Belgique) -, ce qu'il était devenu (entraîneur, en particulier de la sélection sénégalaise, qu'il qualifia pour les quarts de finale de la CAN 1994, wikipédia dixit).
Jules Bocandé était énorme. Tout bleu tant il était noir. Et énorme. Ses mollets, lorsqu'il sortit du vestiaire du camp des Loges en ce mois de juillet 1986, valaient mes cuisses d'ado et chacune des siennes était plus large que mon buste. Il faisait peur même à ses partenaires, ça se voyait. Une puissance athlétique comme on n'en avait jamais vu à Paris.
J'ai beau ne guère verser dans le protocole, en football je deviens vite sentimental, lyrique et par conséquent un peu con ; c'est pourquoi je serais heureux, satisfait et fier de mon équipe si à l'occasion du prochain match au Parc, on offrait au public quelques belles images de Jules Bocandé sous le maillot parisien et à lui la minute de silence qu'en digne porteur de ce maillot il a largement mérité.
Photo - DR Texte - Grégory Protche
PS : reçu hier soir tard ceci...
Salut Grégory,
J'ai lu ton hommage à Zanzan, Boc, Essamai (Jules Bocandé) comme nous l'appelions à Ziguinchor en Casamance. De mes yeux, je n'ai jamais vu footeux plus doué. Et le foot je connais (je peux citer de mémoire les 40 derniers vainqueurs de la C1 aujourd'hui appelée ligue des champions). Il a remporté le concours du plus jeune footeux du Sénégal. A vingt balais, il était le patron de la défense du Casa sport de ziguinchor. Le genre de libéro qui fait des sombrero, petits et grands ponts aux attaquants. Un an plus tard, il est le patron du milieu de terrain quand le Casa gagne la Coupe du Sénégal et ensuite le 10 quand l'arbitre nous vole le titre.
Dans Ziguinchor et au-delà dans beaucoup de foyers sénégalais, ça doit être la tristesse ce soir.
En Europe il a gagné en efficacité pour devenir cet attaquant qui a fait renouer le Sénégal avec la CAN.
C'était un mec bien, le genre qui veut régler les problèmes de tout le monde. ça donnait des situations un peu ubuesque quand il sortait le soir à Ziguinchor avec sa quinzaine "d'amis".
Que la terre de Ziguinchor lui soit légère.
Merci à toi.
Félix Atchadé