Version courte d'une tribune parue à Abdijan dans Le Nouveau Courrier le 5 avril 2013
Balayons les objections : Altit a fait mieux et plus que convaincre. Il a méthodiquement, consciencieusement et logiquement mis en pièces l'indigent dossier de l'accusation. Ocampo doit bien rire d'avoir laissé à "l'Africaine" Bensouda autant de documents suspects, de témoignages sujets à caution, quand ce n'étaient pas de purs et simples faux !
Sans prétendre avoir scruté l'ensemble de la production médiatique mondiale, il semble évident que "quelque chose s'est passé". La figure de Laurent Gbagbo n'est plus éclairée de la même aveuglante façon. Gêne, embarras et contrariété, chez les confrères occidentaux. (Ah, la si spécifiquement française incapacité de se dédire). Plus Ouattara s'assombrit médiatiquement, plus Gbagbo se "mandela-ise". Ajoutez-y un opportun rapport d'Amnesty international, une admonestation de Human rights watch (qui a de quoi se sentir elle aussi coupable, il est vrai)… Vous verrez que bientôt ils (se) rappelleront que c'est à Gbagbo que la Côte d'Ivoire doit la démocratie et le multipartisme ! Car le Ouattara "raisonnable" évoqué par Nicolas Demorand dans Libération le 4 avril 2011 a vécu.
Le travail de contre-information de la défense, combiné à celui depuis 2011 des marcheurs, à travers le monde, des organisateurs de conférences, des associations et des simples militants a, là encore fort opportunément, recoupé une tendance lourde dans certaines intelligentsia, en particulier française : le refus, au fond, de cette Cour pénale internationale réservée au Nègres et sans respect pour les nations et leur souveraineté. Ainsi a-t-on pu lire une vigoureuse et convaincante tribune du journaliste de France Télévision Frédéric Taddéi, s'interrogeant sur l'existence même de cette cour et prenant appui sur l'évident cas Gbagbo. De nombreuses contributions nourrirent utilement le débat. Nous continuons de les relayer. Et toutes celles qui paraîtront, toujours plus nombreuses, n'en doutons pas. Il y a quelques jours, Me Altit n'a-t-il pas donné une très bonne interview à un média russe francophone, La Voix de la Russie, que vous avez pu lire dans ces colonnes ? (ICI et ICI)
Et c'est précisément là que pour finir je souhaitais arriver : la défense a produit un remarquable travail à La Haye, le président Gbagbo y a fait deux interventions qu'on n'a pas fini d'étudier, le camp Ouattara est ratatiné, son souteneur Sarkozy n'est plus au pouvoir, l'Union africaine et le Brics commencent à inquiéter sérieusement l'impérialiste Occident… et pourtant.
Et pourtant, cette pénible impression que tout le monde s'en fout, que si on ne somme pas ce même monde de se pencher sur le cas ivoirien, "par tous les moyens nécessaires", la CPI dira ce qu'elle veut. Bottera en touche, très certainement pour commencer. Demandera plus amples examens, pour tous les documents frelatés produits par elle. On repartira pour six mois. Un an. Sachant qu'il suffit qu'une charge soit confirmée pour rendre le procès possible. D'appels en rejets, de préliminaires en huis-clos, ça nous renvoie à quand encore ? À 2015 et à la prochaine élection présidentielle en Côte d'Ivoire ? Qu'attendre d'une Cour contestée par le monde entier et non reconnue par les trois plus grandes puissances ? D'une Cour dont le nouveau président élu au Kenya se moque ouvertement, lui qu'elle avait condamné à l'occasion d'un précédent litige électoral et dont le second vient d'être blanchi ?
Laurent Gbagbo n'étant pas entré en prison par le droit mais par la force, comment se pourrait-il que celui-ci l'en sorte ?
Le faux document présenté par Fatou Bensouda, montrant un brûlé vif en fait photographié au Kenya, ne constitue-t-il pas une preuve de l'iniquité du procès au point de pouvoir en demander l'annulation ?
Et mille autres questions, entre paradoxes, syllogismes et sophismes.
Posons que les Ivoiriens, et avec eux, les Africains et une grande partie des pays non alignés n'ont pas vu ces audiences préliminaires. Même avec toute la bienveillance du continent pour son fils déporté en Batavie, ce qui n'a pas été vu ne sera pas commenté, ne créera pas de polémique politique nationale, ne nourrira pas les médias locaux et leurs citoyens sur les réseaux sociaux, ne forcera pas les pouvoirs en place à reconsidérer leurs positions et alliances à l'aune d'un futur plus indéfinissable que jamais pour la Côte d'Ivoire, poids lourd économique de la sous-région.
L'Afrique francophone est encore trop peu équipée pour que l'internet y remplace des télés nationales le plus souvent réduites au silence par les pouvoirs alignés sur Paris.
Posons que les grandes nations, en particulier celles membres du Brics, commencent seulement à comprendre ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire, à la lumière des interventions en Libye, en Syrie ou au Mali. Et même si elles ne furent pas toutes d'une exemplaire solidarité avec Gbagbo, l'heure n'est pas au droit d'inventaire, mais à la conjugaison et à la combinaison du plus d'influences politiques, médiatiques et diplomatiques possible. Sauter à pieds joints sur toutes les alliances contradictoires et contre-nature. Se boucher le nez sciemment au moment de recevoir certains indispensables mais peu agréables soutiens. Jouer au mieux des rapports de forces nouveaux et mouvants nés de la crise occidentale.
Qui mieux que Me Altit peut faire ça ?
Nous sommes le 4 avril 2013. Fin mai, la CPI dira si elle confirme ou non les charges pesant contre le président Laurent Gbagbo. Il reste presque deux mois à Me Altit pour sillonner l'Afrique, de capitale en capitale. Y organiser des conférences de presse. Y rencontrer le personnel politique idoine et approprié (qui pourrait même prendre en charge ses frais de déplacement, ça s'est déjà vu). Y informer les opinions publiques. Et, pourquoi pas aussi se rendre en Russie, en Inde, au Brésil ou au Mexique ? Sans oublier de croiser, ce doit être faisable, les responsables de l'Union africaine.
Il lui reste presque deux mois pour rappeler qu'en 1992, déjà au prix de la prison (et déjà aussi à cause de Ouattara), c'est Laurent Gbagbo qui imposa le multipartisme et la démocratie en Côte d'Ivoire. Que dans les années 90, en Suède, on invitait ce même Gbagbo à venir "observer" le bon déroulement des élections. Que dans ces mêmes années 90, ce n'est pas lui qui rouvrit la plaie ethnique avec l'ivoirité, mais bel et bien Konan Bédié (contre Ouattara). Qu'en 2000, il était le président élu, reconnu et investi et que dans une perspective de réconciliation il avait alors opté pour un gouvernement d'union nationale, par-delà les clivages, appartenances et convictions. Qu'en 2002 il eut à déplorer une tentative de coup d'État, oeuvre d'une rébellion liée à Ouattara, dirigée par Guillaume Soro, entraînée et soutenue par la France via le Burkina Faso de Blaise Compaoré. Que depuis 2002 aussi, les médias français, principale et malheureusement intarissable source internationale, ont entrepris de démolir son image avec une constance qui n'a d'égal que le raffinement. Qu'en 2004, intoxiqués par les services français, son armée a cru pouvoir déloger les rebelles qui avaient pris le contrôle de 60% du territoire et de ses richesses. Qu'il s'ensuivit des troubles graves durant lesquels l'armée française tua, tenta de prendre le Palais présidentiel en prétendant s'être trompé de chemin. Qu'en cette occasion, comme en tant d'autres, la France mentit sans honte et censura plusieurs médias. Que c'est lui qui, au nom de la fragile démocratie ivoirienne et toujours dans une perspective de réconciliation, nomma Premier ministre son ennemi le plus déclaré, Guillaume Soro. Que les rebelles n'ont jamais été désarmés. Que l'ONU ne les y a jamais forcés. Que les conditions n'étaient pas réunies pour un scrutin présidentiel dans un pays divisé. Qu'à peine le litige électoral déclaré, Gbagbo n'a jamais dit rien d'autre que : recomptons. Qu'il n'avait rien fait d'autre que défendre la souveraineté, les frontières et le peuple de Côte d'Ivoire. Que vingt ans après avoir conquis de haute lutte le multipartisme, il s'était mis en tête, contre la France, de faire respecter la constitution ivoirienne.
"On ira jusqu'au bout".
À l'heure où, sur France 24, un responsable de Human rights watch, en direct depuis Abidjan, dénonce le régime, ses pratiques et met en cause l'unilatérale CPI, le plus fort, ce serait que Me Altit annonce qu'il achèvera sa tournée africaine d'information à Abidjan. Évidemment ! Au pire, Ouattara l'en empêche et le scandale est international. Au mieux, Me Altit aura devant lui bien plus de caméras, d'objectifs et de micros que n'en compte la seule presse bleue.
Photos - dr Texte - Grégory Protche
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