Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Météorique rédacteur en chef d'une émission culturelle quotidienne. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi... et même si des fois pendant plusieurs semaines il n'écrit pas, ce qui est son droit) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
Surtout ne jamais devenir un supporter de Barcelone. Ne jamais considérer la victoire comme une évidence. Préférer la tristesse, la chute, le désespoir, encore.
Je n'ai pas encore écrit là-dessus mais il faut pourtant l'avouer : je me suis réabonné au Parc. 540 euros. Je suis faible. Cet été, en apéritif, j'ai vu Messi et ses camarades dans des maillots oranges immondes s'imposer au Parc et quelques rigolos côté Boulogne chanter “Shakira est une salope” dès que Piqué touchait la balle. J'ai ri, c'était drôle mais déjà, après le match contre Lorient, j'ai su que mon corps serait présent à chaque rencontre mais que mon âme, elle, avait choisi les larmes et le passé et l'exil. Malgré Zlatan (Zlatan au PSG !), malgré cette infime possibilité de foirer notre saison (notre collectif n'en est pas un et il va lui falloir du temps pour s'installer), le Parc a rendu les armes. Là, assis, entouré de connards consommateurs, je ne vibre plus. C'est fini. Je ferme parfois les yeux pour tenter de ressusciter ces chants sacrés mais rien, plus rien. Bien sûr. Et je pleure à l'intérieur. L'arbitre siffle la fin du match et je regarde un mec, une dizaine de rangs derrière moi, hurler sa frustration : “Mais putain, chantez, mais chantez, montrez leur que le Parc est toujours à nous !” Sa détresse me touche profondément mais il a tort, peut-être le sait-il, peut-être refuse-t-il de crever dans ce silence dégueulasse, ce silence moderne qui avale les derniers hommes libres. C'est un instant de vertige, une communion qui implose. Beau.
Combien de fois vais-je écrire là-dessus ? Bégayer. Combien de déserts faut-il traverser pour que sa foi s'éteigne ? Passer à autre chose ? Oublier même que l'on a aimé de tout son coeur, sans compromis, sans faille. Les salauds ! Ils ont tout. Et ils me prennent mon église. Le bénitier est aujourd'hui une pissotière, la nef une galerie marchande, les vitraux des drapeaux qui ne seront jamais des tifos. En 2012, piétiner l'absolu est tendance. Les hommes se croient grands. Ils pensent que la psychanalyse, le sport et le fric suffisent à dépasser l'éternité.
Je regarde sur la toile un documentaire sobrement intitulé Parc (quel beau titre ! Rires). De quoi s'agit-il ? De raconter l'extermination de la passion. De dire comment, pourquoi Boulogne, Auteuil et tous les autres fidèles ont été rayés de la carte suite au plan Leproux. Je vois défiler des joueurs (Safet, Luis, Pedro, Raï, Alonzo), des journalistes, des anciens des virages. Ils disent tous la même chose : c'était mieux avant. Ils chialent mais à sec. Ils ont compris eux aussi. Il est trop tard. Il faudra désormais venir au Parc comme on va saluer ses morts. Voilà une image qui me transporte : des milliers de supporters qui, en plein match, jettent sur la pelouse une fleur puis quittent le Parc pour toujours. J'aurais préféré, tous les intervenants du documentaire, les entendre à l'époque, quand Leproux a frappé. Safet et Luis s'attachant aux grilles du Parc pour exiger le retour des braves. Doux rêve...
Le documentaire, quand les témoins racontent, est formidable. Il y aurait de quoi en faire un livre (rires encore). La chose atroce, c'est quand le réalisateur met en scène un acteur en errance dans les rues de Paris, censé symbolisé le supporter trahi, déchu, assassiné. Mise en scène inutile, ridicule, volonté de fiction malade, tout à fait contemporaine. Comme si notre histoire avait besoin d'effets spéciaux. De martyrs à la rigueur...
Depuis l'arrivée de Zlatan, le monde (amis, famille, collègues) s'en donne à coeur joie. Il pense m'atteindre quand il parle d'argent sale, de stars mercenaires, de titres déjà conquis. Je ne réponds pas. Je n'ai pas à défendre, à justifier. Je me sens aujourd'hui plus proche d'un ultra marseillais que d'un gland venu au Parc assister au spectacle. J'ai désormais l'impression le week-end, devant ma télé ou à Porte de Saint-cloud, de draguer une ex, tout en sachant que, dans le meilleur des cas, je baiserais vite fait mais que jamais l'amour ne ressuscitera. C'est une sensation atroce, une torture de chaque instant. Vider ses couilles ou s'élever ? Le choix n'est pas cornélien, il n'existe pas. On peut en rire, évidemment. Encore une fois, seul mon petit nombril est concerné (et ceux des milliers d'abonnés fusillés par le cynisme). Encore une fois, je suis incapable de relativiser. Est-ce pour cela que je me sens différent, à part ? Meilleur ? Pas vraiment mais même si ma fidélité est aussi un moteur, une excuse pour vivre encore (je ne suis pas dupe), je n'oublie pas la blessure, profonde, la cicatrice indélébile. “Ce qui ne te tue pas te rend plus fort” affirmait Soprano ou peut-être Nietzsche, je ne sais plus. Je ne sens plus mon pouls.
Texte & Photo - Jérôme Reijasse
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