Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Météorique rédacteur en chef d'une émission culturelle quotidienne. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi... et même si des fois pendant plusieurs semaines il n'écrit pas, ce qui est son droit) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
C'était mieux avant.
Bien sûr.
Avec 239% de possession de balle et quatre mille huit cent cinquante sept passes réussies, l'Espagne a donc effacé les bleus.
Avant, il y avait Platini.
Voilà.
J'ai compris une chose. Je le savais, tout au fond. Je le savais, je ne veux pas vous prendre pour des ânes. Il fallait simplement accepter la lumière. Je n'aime plus l'équipe de France. C'est je le crains peut-être même encore plus sombre : je m'en moque. Ce n'est pas l'enfant blessé qui tente de parer la tristesse. C'est le supporter du PSG qui parle. Moi.
Il est indispensable d'avoir les poings serrés un soir de chute. Enfin, lorsque l'on aime vraiment la chose. Il faut souffrir. Un tout petit peu. Et là, alors qu'Iniesta et les siens sourient aux caméras, rien.
Platini.
Si on ferme les yeux, on peut parfois presque y être encore. L'image pas comme aujourd'hui, à la fois plus sale et plus belle, comme un film de Fassbinder un peu. Ces mains sur les hanches quand il soufflait pour mieux s'envoler encore. La main à Battiston sur la civière, le sourire juvénile et fort. Le vanneur intouchable, évidemment. Platini.
Et il faudrait discuter du pourquoi du comment, chercher les coupables, construire l'avenir, là, tout de suite, en juillet 2012, à peine six mois avant la fin des Temps ? Écrire des livres-enquêtes pour expliquer Nasri, élucider Benzema, approcher Ribéry, décrypter Lloris, deviner Blanc ? Se demander si Deschamps est la solution ? Le Football pour les Nuls ? Gaver la TNT de débats à la con ?
Platini.
On ne parle pas ici de nostalgie. Enfin, pour être tout à fait honnête, pas à plus de 97%.
Mais Platini, ça peut être beaucoup plus qu'un grand souvenir. Platini a raison de taquiner Zidane. 1998. Je m'incline. J'ai suivi. J'ai vécu la chose sans rien bouder. Et puis tu fermes encore les yeux. Platini manque son pénalty contre le Brésil. Il fait chaud, c'est la fête de la musique, c'est l'été ? Même pas. C'est la seconde où Platini entre à jamais dans les coeurs. Direction panthéon ! Pas le bunker du cinquième. Le mien. Le Nôtre (les autres sont des cons, non ?). C'est comme quand j'écoute Sacha Guitry. Sa voix est une main. Et je pense à Platini. Combien de fois, je l'ai invoqué, pour m'accrocher encore, alors que mon équipe n'en finissait plus de mourir ! Combien de fois j'ai écouté Sacha pour encore aimer. C'est important, tout ça. Je veux dire, les générateurs d'émotions.
Non ?
Mon téléphone sonne. Une connasse (ma mauvaise conscience, je crois): “Si Luis l'avait pas mise au fond, gros con, ta petite théorie à deux balles sur Platoche, tu te la mettrais au cul ! Platini, tu l'aurais détesté. Pire que Dugarry !”. Moi : “Il faut croire en la défaite pour se rapprocher de Dieu. Les défenseurs de la vidéo sont des envoyés de Satan et Michel fait un bel ange, il ne cèdera pas. Et s'il cède, je l'aimerais encore plus et je me boufferais à nouveau le crâne pour honorer sa propagande. Ce n'est pas discutable. Je vous quitte, Madame, et je vous emmerde quand même !”
Michel, mon doute, ma foi.
Benzéma, Ribéry, tous les autres, ils gagnent, ils marquent, ils perdent, ils ratent. Et rien. Plus rien. Ils sont au centre d'un monde que j'ai quitté il y a longtemps, celui qui tressaille quand deux couillons baisent dans une piscine, qui laisse BHL orchestrer le massacre, celui qui confond appartenance et hobby. L'autre soir, sur France 3, rediffusion du documentaire sur les Bleus de 1986 (oui, avant, le B était majuscule). J'oublie toujours le titre (Je fais confiance aux neurones de Greg : Dans le secret des Bleus, de Adolphe Dhrey). Et cette scène, putain, après donc la victoire sur le Brésil. Quand ils chantent dans les vestiaires, tous, Giresse assis, tout petit, un peu timide, on devine que le karaoké, c'est pas son truc mais il chante. Tigana à fond. “Brasil, Brasil, lalalalala !!!” Beau. Et si l'autre conne rappelle, Maxime Bossis accroupi, livide, Stielike-Jugnot qui pleure, le monstre Hrubesch qui fait trembler la terre et Platini, encore, seront mes seules réponses en espérant qu'elle finira par comprendre. Mais non. Elle est vraiment trop conne.
Et Thierry Roland qui a disparu. On ne le retrouvera pas (laule).
Il y a quoi ? Quatre ans, cinq ? Grégory Protche prêchait dès qu'il me voyait. Comme un curé. Plus Bernanos que chez les nudistes. Il voulait que j'entre en Guitry. “C'est pour toi” était son mantra. Une révélation, exactement. Il y a deux ans, Scarlett m'encourageait vivement à découvrir Ricky Gervais, que je ne snobais même pas, que j'ignorais, toujours démodé, je suis un plouc, toujours. “Quoi ??? Mais vous êtes faits l'un pour l'autre !!!” sursautait-elle. Alléluia encore !
Platini, Guitry et Gervais ne me distraient pas. Ils m'élèvent. J'ai avalé les intégrales des deux séries télé de Gervais, The Office (la vie au bureau) et Extras (la vie des figurants). Et ses films Invention of Lying et Adieux à Cemetery Junction ! Quand j'ai vu Le Roman d'un Tricheur ou Le Comédien, la même. Gravés. Opération définitive. Extension d'ADN.
Existe-t-il un dvd avec tous les buts de Platini ? En cas d'Alzheimer, je pourrais me le mater en boucles. Tout revoir. Comme pour la première fois. Toujours. Depuis mon petit balcon, en Algérie. Karim et Mouss, fourbes et fondamentalistes comme tous les Arabes, sauf Jamel, tentent de me convaincre que ce pays incarne mon idéal : paresse, temps qui coule plus qu'il ne vomit, survêtement en guise de seconde peau, rentabilité étouffée par une certaine idée du détachement, grand-mères qui traversent sans prévenir les autoroutes, femmes qui cuisinent bien et beaucoup (spéciale dédicace à Miss Fourest, bien silencieuse depuis le départ de son gagne-pain de l'Élysée. Peut-être attend-elle un ministère, une responsabilité bien rémunérée pour services rendus à la Nation ? Ou peut-être enquête-t-elle pour sortir un nouveau brûlot, tiens, pourquoi pas une biographie de Marion le Pen ? Bien ça. La plus jeune députée de France. La Bête à l'Assemblée... En fait, Fourest, c'est Ghostbusters, sauf qu'il n'y a pas de fantômes). Karim commet pourtant une erreur presque éliminatoire, qui risque de lui valoir les remontrances de son chef de commando terroriste : il lâche un “le seul truc là-bas, en Algérie, Jérôme, c'est l'hôpital. Faut pas tomber malade, à moins d'être riche...”, qu'il regrette aussitôt, je le vois dans son regard d'égorgeur d'enfants chrétiens. Je résiste donc, moi, l'hypocondriaque. Mais pour combien de temps ? Mourir face à la mer, en Algérie. Ça aurait de la gueule.
Photo & Texte - Jérôme Reijasse