Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Météorique rédacteur en chef d'une émission culturelle quotidienne. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
Cette semaine, j'ai vu des choses horribles.
D'abord, une armée de chanteurs, d'acteurs, de tâcherons français chanter pour l'Afrique. Une opération de l'UNICEF. Ça s'appelle “Des Ricochets” et c'est lourd comme un caillou. On ne citera évidemment aucun participant. Il ne manquerait plus que ça ! Le clip, qui, bien sûr, tourne en boucles à la télé, est atroce, les paroles débiles (on y parle d'enfants affamés qui rêvent de danser pour faire tomber la pluie, ce genre de conneries), la musique à vomir, sorte de reggae FM que même Tiken Jah Fakoly n'aurait pas osé composer. Ils ont tous le sourire sauveur, les larmes retenues, le déhanchement coupable. La charité, c'est de la merde. Si la justice avait son mot à dire, on ne subirait plus ce genre d'initiatives charnier. Risiblement dégueulasse.
Ensuite, une femme apparemment engagée (rires) qui n'a pas apprécié mon dernier texte sur Whitney Houston. Cette féministe militante n'a pas supporté que je traite Whitney de princesse putain. Quelle drôle d'idée ! Les princesses, et surtout les putains, sont aimables. Mieux, elles assurent l'équilibre de la planète, elles bercent les grands enfants que nous sommes toujours, elles freinent les glaives belliqueux. Il n'y a bien qu'une femme pour ne pas le reconnaître. Et puis, cette résistante moderne me reprochait également de préfèrer, à Obama le noir et démocrate (et donc intouchable, pur, inattaquable), les Reagan et Nixon, bien sûr racistes, méchants et abominables parce que blancs et républicains. Quelle idiote ! Obama, jamais Oliver Stone n'en fera un film. Il n'y aurait rien à dire ou alors, des choses tellement désagréables pour ses admirateurs que les salles de cinéma finiraient par brûler (c'est souvent ainsi que les progressistes marquent leurs désaccords). Et oui, j'insiste : voir Nixon ému, rendre un dernier hommage public, sur le perron de la Maison Blanche, à la chanteuse, quel spectacle, quel paradoxe formidable, quelle boucle enfin. Mais de nos jours, il faut absolument choisir son parti. Cette lectrice du Gri-Gri est bien de son époque. Elle ne veut de mal à personne mais... Il y a toujours un mais avec ces gens à qui il faut des drapeaux à suivre, des causes à épouser, des horreurs à dénoncer... Ils détestent le pouvoir, le capitalisme, le racisme, le fascisme, le nazisme, les pesticides, les légumes pas bio, les voitures pollueuses, le PSG, les censeurs, l'Islam (c'est le mot poli et pratique pour “Arabes”)... Ils gesticulent, manifestent, défilent, pétitionnent, accusent. Il ne faudrait pas qu'ils parviennent tout en haut. J'en tremble d'avance. Les caves d'interrogatoire, ils les rempliraient fissa. Ils n'ont que le mot liberté à la bouche et ne rêvent que de vengeance, de gibets, de tribunaux aux grands coeurs, de brouillages historiques. Ils ne veulent pas de la différence. Ils sont la vraie décadence.
Enfin, je vois une équipe de Paris éteinte assurer de justesse le nul contre une très bonne formation de Montpellier dimanche soir. Et je m'en fous. Je regarde surtout le public du Parc, sorte de madeleine molle, passive, qui applaudit quand on lui demande, qui trouve normal de voir déambuler sur notre pelouse avant le match cette mascotte merdique, Germain et ses grosses mains de félin à la con. J'entends des gens autour de moi se plaindre, ils attendaient une victoire, ils repartent frustrés. C'est donc vrai : ils sont là pour la gagne. Rien d'autre. Les ânes. Les brebis même plus égarées. Juste ravies quand l'heure de la tonte à sonner. Je rentre chez moi triste. Avec l'éviction des ultras, la mascarade des abonnements aléatoires, je pensais que plus rien ne pourrait m'atteindre. Je n'avais, comme d'habitude, rien vu venir. Ils vont tout me prendre. Ce n'est même plus de la haine. Lassitude qui coupe le souffle, qui n'offre aucune compensation. Je m'étais trompé. Encore. Je suis un naïf. Un gros con de naïf !
Heureusement, il reste les livres. Mais cette semaine, eux-aussi me terminent, m'accablent, me démontrent que je suis comme tous les autres. Une toute petite âme qui préfère, au courage et à l'élévation, la trouille refuge. Denis Tillinac est un vieux monsieur de droite, ami de Chirac, écrivain, ancien éditeur. Ces jours-ci, il sort Considérations Inactuelles (chez Plon, 16 euros). Je l'achète en bas de chez moi. Il a décidé de donner quelques conseils à la jeunesse. On peut être d'accord ou pas avec lui. Moi, j'adhère. Jusqu'à la page 105, je me dis même que je suis indéniablement déjà un vieux con. Un réac assumé. Et ça me va. Et puis cette page terrible, où je me reconnais. J'ai beau d'abord me défiler, presque me convaincre que ça ne peut pas être moi mais non. J'ai passé l'âge du mensonge qui apaise. Je suis là, résumé en quelques lignes assassines. Tillinac écrit : “Ne poujadise pas sur le dos des élus, qu'ils soient locaux, nationaux ou internationaux. L'Histoire se trame ailleurs que dans l'enclos de plus en plus étroit de leur pouvoir. (...) À défaut, une catastrophe pourrait infléchir le cours de l'Histoire – et aux carrefours de l'utopie et du nihilisme, des esprits la désirent confusément. Ceux-là sont les plus dangereux.” C'est moi, le couillon au carrefour, qui, depuis des années, rêve secrètement à la fois d'effondrement global et d'un monde lavé de tous ses péchés. J'ai honte. Tillinac s'en moque, il persiste et signe: “Le moment viendra où la perspective d'une aventure se profilera. (…) Ne le manque pas. Si l'aventure se révèle foireuse, tu en seras quitte pour la déception. On s'en remet. À l'heure des bilans, tu regretteras moins tes égarements que tes renoncements dictés par la prudence ou par la peur. Moins les ratés de ta carrière que tes infidélités à tes rêves d'évasion.” Aïe, aïe et aïe encore. La frousse me dicte sa loi depuis trop longtemps. Je ne suis qu'un lâche. Si je ne l'ai pas écrit cent fois... La seule chose qui me rassure ? De savoir que vous tous m'accompagnaient. C'est minable. C'est comme ça.
Photo & Texte - Jérôme Reijasse
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