Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Rédacteur en chef d'une émission culturelle quotidienne. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
C'était jeudi soir au nord de Paris. Dans une salle au nom tellement agaçant que je ne l'écrirais pas. Un nom juste bon pour un disque des Têtes Raides. Dégueulasse. Dans une salle qui ressemble à une ancienne salle de boxe. Pas l'Élysée-Montmartre, elle, elle a brûlé.
Là, environ 200 personnes. Beaucoup de punks à chien, des bobos aux pantalons larges et aux chaussures haïssables. Des anonymes, pas mal, des groupies, quelques enfants aussi. De la diversité ethnique à faire chialer Josiane Balasko. Une petite France.
La lumière s'éteint. Sur la scène, un homme au visage comme ravagé par des générations de consanguinité totalement assumée, surgit de nulle part le cul vissé sur un vélo et exécute une cascade improbable, probablement dangereuse pour le non initié.
Sans attendre, ça gueule, ça hurle, ça expulse. Un groupe de mutants moins Blade runner que Terminus (le seul chef d'oeuvre de Johnny), le regard méchant et tourné vers le public, deux choristes pas jolies mais étrangement presque excitantes entament une mélodie où rien n'est à sa place et où tout semble possible. Pour le meilleur, je le ressens tout de suite. Ça ne me ressemble pas. Un certain Fabrice, muet, l'oeil à la poésie inquiétante, tête de fou et corps de bouffon, arpente les planches, mongolien perdu.
L'homme au vélo parle ensuite. Il raconte que depuis un accident survenu il y a quelques années, il a perdu la foi. Il n'a plus la haine. Il le dit comme ça. Il beugle qu'il veut redevenir ce chanteur engagé d'autrefois, pour de nouveau faire du pognon. Pour de nouveau séduire des fans débiles, qui n'aiment la révolution que quand elle rime avec divertissement. Il a l'air vraiment déprimé, là, allongé sur un lit qui n'en pas vraiment un, à parler à son immense nounours surgi de son enfance (en fait interprété par l'une des choristes, qui s'est changée rapidement à peine dissimulée derrière un paravent). Le nounours lui dit que s'il veut retrouver cette méchanceté d'autrefois, il n'y a pas 36 solutions. Il doit partir sur la route et rencontrer l'homme le plus méchant au monde. Pour se racheter une virginité noire. Pour rejoindre l'humanité putride.
Alors, notre héros part à l'aventure. Il va d'abord en banlieue. Là, un mur tagué proclame, avec les fautes d'orthographe où il faut, qu'il faut “libéré la Pastine”, qu'il faut “vendre la Corse aux Juifs”. On va aussi en Afrique où un couple de milliardaires se déchirent sans pudeur. On croise Hitler, un rabbin et Ben Laden, un guitariste qui, casque sur le crâne, donne des coups de boules sur une batterie minimaliste. Des chansons sur la gauche et la droite (celles des urnes), encore des cascades improbables, des vannes à la lourdeur métaphysique, un n'importe quoi que l'on devine travaillé au corps. Ce petit monde à l'hystérie plus généreuse que cynique, à la poésie physique, viscérale, est un formidable moment d'évasion. Je me laisse porter par ses âmes en peine, par cet humour qui se moque de l'équilibre comme de sa première balle. Derrière la critique sociale (on peut rire de tout, il reste presque impossible, quand on a du coeur, de dissimuler longtemps le camp que l'on a choisi), des couleurs se marient pour faire naître pendant à peine 1h30 un vrai univers inédit, la comédie est musicale mais pas seulement : elle emprunte des couloirs temporels, elle ne chante pas si mal que ça, elle raconte surtout. Je l'écoute, je la suis, j'en veux encore, malgré la fatigue, malgré la migraine qui m'empêche depuis ce matin de croire à demain, malgré ces bancs d'école sans confort. Dieu que je déteste sortir. J'ai beau subir les quelques gimmicks que l'artiste se sent encore obligé de balancer pour rassurer ses couillons fidèles, détester les gens qui sont là, assis, comme moi parce qu'ils m'empêchent de totalement fuir la réalité, je ne me contente pas de rire, je voyage immobile. Une sorte de Petite Boutique des Horreurs sans plante carnivore extra-terrestre mais avec une sauvagerie d'enfant jubilatoire.
Jeudi soir, je suis allé applaudir Didier Super. En vrai, il s'appelle Olivier je crois.
Cet homme est un magicien.
NB : Il a aussi sorti une bande-dessinée sur sa vie. Je l'ai lue. C'est con. C'est vraiment bien.