
Au moment où en France on parle de photo ethnologique, de comptage des minorités, des vexations et autres micro-discriminations dont elles seraient victimes, Chronique de la Faune Parisienne de Prudence Keyniata est dans le contretemps identitaire, à l’ère du phénotype négroïde. Je m’imagine Prudence Keyniata. Annotant tout le monde. Une journée entière pour la trouver à travers tous les personnages de son livre. Parfois inégaux et répétitifs, ils existent, se posent des questions, s’affrontent, se connaissent et se croisent à un moment ou un autre… Alors j’ai picoré dans cette galerie de portraits.
Un peu de… Garcelle. Journaliste free-lance qui porte bien son nom, « a plein de copines, toutes des noires ». Elle utilise un code de notation très précis pour les hommes car sa position de femme indépendante en fait une proie facile. « Elle évite les fils de famille » et, accessoirement, couche avec le djo de sa cops Trisha. Elles se retrouvent au "Sens", le soir du show case de Go 2 Skwal et déversent leur venin sur le faux rap et la négraille hipopienne. Tous les petits tapins sont là.
Un peu de… Kenyatta Pernel. Étudiante avide de connaissance et orpheline. Veut entreprendre une étude sur les pré pubères noirs pour « offrir à leurs familles une référence sur la psychologie des jeunes hommes noirs aux prises avec la puberté ». Très réticents à lâcher des informations d’ailleurs… Un peu plus tard avec son amie Nyatou elles discutent vivement afro centrisme, exotisme colonialiste et décapage de peau. « Je t’avoue qu’il m’est très difficile d’être le témoin de la dégradation continuelle de notre culture. »
Un peu de… Lutétia Keita. En attente et en observation dans son salon de coiffure habituel ; se doit d’expliquer à une Antillaise ce qu’elle ne dirait pas à un blanc : il existe plus d’un type d’africain et la peau claire n’est pas sauvée. Sa meilleure amie Annaig-Gwënaelle est une tête blonde qui ne cherche pas à devenir noire et qui sait d’où elle vient.
Un peu de… Marie Grégoire. Travaille au bureau de poste du 38, bd de Strasbourg. Elle était tout à l’heure au salon. « Elle en veut à son ancêtre Alexandre de n’avoir pas blanchi la lignée »... Une de ses filles s’appelle Blanche et peut même devenir mannequin. « Tu t’es bien débrouillée avec tes sept enfants », la félicite sa collègue…blanche. C’est dans ce même bureau de poste qu’Amédée-Innocent attend son conseiller financier. Celui qui peut orienter son avenir. Conakry, avec sa compagne qui travaille au palais présidentiel ? Paris, avec Moseline ? Ou Londres, avec sa dernière conquête Joséphine ?
Un peu de… Sokona. « Caustique et corrosive », tout en croisant et décroisant ses jambes de working girl. Se refuse à Charles qui croit pourtant se trouver dans un de ces appartements coquets qu’il paie à ses maîtresses. Elle sera aussi au "Sens" en fin de nuit. Ce même Charles Yibou gagne dix mille euros par mois et baise Ketty Laure, bipolaire suicidaire qui traîne avec la jet set africaine et se fait passer pour une garce, mais reste amoureuse de Rick… qui en aime une autre. Charles ne l’embrasse jamais. Avant de le rejoindre, elle passera par le "Sens". Ce matin avenue Kléber, Séraphin Nguéma un homme africain sentimentalement sobre, est mélancolique. Pour un homme à femmes fier de l’être c’est une faiblesse.
Une fin tragique au "Sens"… Une chorégraphie bien orchestrée… Un bon goût pour le drame… Parfois un peu saoulée des digressions bavardes de Miss Prudence, je me suis perdue dans son fatras de références et de formules. Certains chapitres claniques m’ont échappé. Les saillies militantes d’une jeune métisse obamaniérée et sa thèse de la rédemption par le mélange m’ont laissé coite. J’aurais aimé moins m’égarer et qu’elle me ramasse plus souvent. Elle réussit cependant à m’emporter dans son flot tumultueux et ponctue le tout d’interludes presque oniriques donnant ainsi un rythme très particulier à sa lecture. Alors je m’imagine Prudence Keyniata comme une promesse dont cette première chronique laisse présager qu’elle sera tenue.
Erika
Chronique de la faune parisienne (Ils sont parmi nous. Ils mangent à nos tables) est un roman écrit par Prudence Keyniata. Il est paru en 2007. Impossible de trouver dans le livre un nom d'éditeur, à part l'énigmatique www.lulu.com