Je suppose que c’est parce que j’habite Montreuil que le GriGri m’a demandé de lire le récit de Patrick Besson, 28, boulevard Aristide Briand. Parce que c’est sûr que Besson et moi on habite le même quartier. Enfin, j’habite le quartier de son enfance. Je reviendrai après sur le moment où son livre se situe.
Et puis non, je vous le dis tout de suite, il évoque ces journées de printemps 1968. L’orée du fameux mai de la même année. Il a alors 12 ans.
Besson nous dit très vite que c’est à ce moment précis qu’il est devenu un écrivain professionnel. Une « aubaine cette révolution » qui ferme les écoles et lui permet de rentabiliser à fond son temps libre en pratiquant ce qu’il aime plus que tout, l’écriture et la lecture.
28, boulevard Aristide Briand, c’est aussi un prétexte pour revenir sur son cadre de vie : ses sorties du jeudi avec sa mère, le cinéma avec ses parents, son meilleur ami et leur virée aux portes de Paris et ses émeutes, son demi-frère Noël. Ce que j’ai préféré, les menus quasi identiques de sa mère : salade de tomates aux oignons nouveaux, côtelettes d’agneau et frites. C’est un menu tendre qui sent l’amour, un menu pour enfant. Sa mère est couturière au noir et son père imprimeur, son demi-frère est un demi-dieu et lui se distingue de ce frère.
Sans difficulté d’ailleurs, parce que l’auteur est un théoricien bien né. Le "mélange d’une chroniqueuse et d’un écrivain". Il observe, déduit puis applique. Et passe beaucoup de temps à la « bibli » de Montreuil. Alors là, j’interviens en tant que Montreuilloise. À l’époque, la bibliothèque Robert Desnos, inaugurée en 1974 seulement, n’existait donc pas. Je vérifie, ce qui est ma mission première, et effectivement l’ancienne bibli se trouvait dans l’aile gauche de la mairie « stalinienne ». (Maintenant à la mairie, on a Dominique Voynet. J’ai voté pour elle, alors j’étais contente. Puis je l’ai rencontrée dans la rue et elle m’a dit que l’équipe précédente n’avait rien laissé, aucun dossier, rien…).
Quand il avance dans cet antre, à se demander quel genre d’écrivain il est, pourquoi il n’y trouve rien sur lui et sa ville natale, il sait déjà qu’il se prépare à une longue vie d’écriture, et, avec ce récit, à combler le vide descriptif concernant Montreuil.
Sa cité, il en parle comme Gynéco, il l’aime. La Cité du Printemps. On s’y fait piquer les fesses pour cause d’allergie par une infirmière qui habite une porte voisine. On y célèbre mariages et naissances. Besson la trouve « vaste et élégante ». Comme c’est à deux pas de chez moi, je suis allée voir. Il y a un 8à8 juste à côté maintenant, c’est animé, et je comprends tout de suite, même si ça a changé, ce qu’il aime. Plusieurs mamans que je connais habitent dans cette cité, dans des appartements plutôt bien agencés et coquets. Oui, je connais des mamans parce que mon fils va à l’école maternelle Guy Moquet. Pas encore à Estienne-d’orves et encore moins à Jean Jaurès. Le lycée de Patrick. Hé oui, mon fils peut théoriquement avoir le même parcours que Patrick Besson. Je suis pour la carte scolaire et contre les dérogations. Et je confirme, le chemin qu’il emprunte ce fameux jour où les cours seront suspendus le temps d’une révolution, est bien un sentier de traverse, un détour. Parce que vouloir prendre la rue Mirabeau pour rejoindre le 28 boulevard Aristide Briand, en sortant du lycée, c’est déjà prendre la clé des champs.
Le jeune garçon qui achète alors Le Monde tous les jours, émerveillé que pour 50 centimes on puisse lire des nouvelles du monde entier, avoue n’avoir aucune limite parce que son père ne l’a jamais puni. Même après avoir enlevé la culotte d’une petite fille du 7b. Il était plutôt fier son père.
Patrick Besson vit depuis des dizaines d’années de la même façon, c’est lui qui le dit. Et tout a commencé à Montreuil.
Princess Erika
28, boulevard Aristide Briand est un récit, écrit par Patrick Besson, et publié en 2001, aux éditions Bartillat. Il coûtait alors 59 francs. Et comptait 93 pages.