C'est un homme seul qui est apparu sur l’écran de la première chaîne de télévision, le 17 août 2015, lors de la parade militaire. Mine de mauvais jours, un pas lourd très prononcé, le président de la République a pris de longues minutes pour descendre de son « Command car » de l’armée gabonaise qui l’a conduit à la Place des fêtes de Libreville, sur le front de mer de la capitale gabonaise. L’homme s’est avancé sur le tapis rouge tel un bœuf que l’on mène à l’abattoir. Le pas très hésitant comme s’il ne voulait pas rencontrer les personnalités constitutionnelles présentes. A moins que ce ne soit l’absence très remarquée de son directeur de cabinet à la tribune réservée aux collaborateurs du chef de l’Etat qui lui a donné cet air bougon. On a pu même observer que l’un des adjoints du directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba, Samuel Ngoua Ngou, avait pris place aux côtés d’Etienne Massard Kabinda Makaga, le secrétaire général de la présidence. Place réservée au plan protocolaire au Nkani d’Ali Bongo Ondimba.
La solitude d’Ali Bongo Ondimba a revêtu un air de cruauté au constat qu’aucun chef de d’Etat de la sous-région n’a daigné faire le déplacement de Libreville pour la circonstance. Pourtant, l’homme assure la présidence en exercice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Ceeac). A ce titre, on aurait pu penser que quelques-uns des onze chefs d’Etats de cet espace communautaire auraient jugé important de venir assister le président en exercice à cette occasion. Même Catherine Samba Panza, la présidente de transition de la République centrafricaine, en quête de soutien de toute sorte, n’a pas jugé utile de faire le déplacement de Libreville.
A ce blackout international s’est ajouté le front intérieur. Les officiels se regardaient en chien de faïence. L’on se serait cru dans une meute de loups où le mâle dominant, contesté, essaie tout de même d’imposer sa loi au reste de la troupe. Les poignées de mains étaient des plus glaciales. Ali Bongo Ondimba n’a eu aucun mot ni pour son Premier ministre, Daniel Ona Ondo, ni pour son ministre de la Défense, Ernest Mpouho Epigat, venus l’accueillir à sa descente du « Command car ». On ressentait pourtant que Daniel Ona Ondo recherchait du réconfort, pour tenter de couper court à toutes les spéculations à son sujet. Ali Bongo Ondimba a été tout aussi avare de paroles envers les personnalités présentes à la tribune officielle. Le président de l’Assemblée nationale, Guy Nzouba Ndama, celui du Conseil économique et social (CES), Paul Biyoghe Mba, la présidente du Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo, et d’autres, ont eu droit à une poignée de mains tiède. Seule exception dans ce climat de « guerre froide intérieure », l’archevêque de Libreville, Mgr Basile Mvé Engone. Le prélat de Libreville sera la seule personnalité avec qui Ali Bongo Ondimba va afficher une certaine complicité. Il ira jusqu’à afficher un large sourire en serrant la main de l’homme d’Eglise au point de lui consacrer quelques minutes en tête-à-tête à la fin du défilé militaire. Il faut dire que la veille, le président de la République avait élevé l’archevêque de Libreville au grade commandeur dans l’ordre du mérite. Ce climat de forte tension au sommet a sans doute conduit le protocole d’État à limiter le nombre d’invités au banquet du 17 août au palais en soirée. Ce furent 400 convives pas plus. En d’autres temps, c’étaient 2 000 à 2 500 personnalités qui étaient conviées à partager le dîner présidentiel au soir du 17 août. Ce n’est pas une question de limites financières, Ali Bongo Ondimba sait trouver l’argent lorsqu’il s’agit de couvrir des frais d’agapes. D’ailleurs, il a fait venir d’Europe un spectacle de sons et lumières à coups de milliards pour égayer la fin de son repas du 17 août 2015. La raison de ce tri est sans doute ailleurs. L’homme ne voulait visiblement pas avoir à sa table les trublions d’Héritage et Modernité. Quitte à prendre le risque d’apparaître plus que jamais seul sur la scène intérieure.
TEXTE - JEAN-MICHEL SYLVAIN (in Echos du Nord N°298)