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Le Gri-Gri International

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Jérôme Reijasse / Un Français - Autobiographie fragmentée et aléatoire (Novembre 2014) #versiontexte

Publié par Gri-Gri International sur 23 Novembre 2014, 11:15am

Catégories : #Jérôme Reijasse 7 jours loin du monde, #Arts & culture, #Littérature

Jérôme Reijasse / Un Français - Autobiographie fragmentée et aléatoire (Novembre 2014) #versiontexte

En marge de sa rubrique, toujours pour l'heure nommée 7 Jours loin du monde, Jérôme Reijasse nous a livré un texte qui ressemblait fort à une tranche d'autobiographie... On verra s'il en compose d'autres.

J'ai une famille.

À part Rémi, qui peut revendiquer le contraire ?

Il y a là quelques âmes à sauver.

Elles se reconnaîtront et mon amour pour elles n'est pas négociable.

La faire courte.

Peut-être pas après tout.

D'un côté, une vieille famille de France, limousine, ouvrière, athée, dur au mal, communiste, pétainiste et résistante, anti boches et antisémite. Ma grand-mère : “Les Juifs, je ne les ai jamais aimés. Mais je n'ai rien contre eux, hein ! Ce Hitler, là, qu'est ce qu'il a voulu tous les tuer ? Mais comme disait de Gaulle : “Peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur...”. La même qui baissait sa vitre avec précipitation pour adresser systématiquement un bras d'honneur aux camions teutons croisés sur nos autoroutes de vacances. Elle me manque, je l'aimais parce qu'elle était là et que ça lui suffisait. Elle acceptait tous mes amis, même les plus cons. Elle leur imitait le geste de Noah quand il frappait la balle entre ses jambes et riait comme une enfant. Elle regardait tous les jours Pascal Sevran et parfois, versait une petite larme, discrète, rien que pour elle. Je ne comprenais pas. “Mais mon petit, ce sont les chansons de ma jeunesse. Le temps passe vite. Trop vite. Je vais bientôt rejoindre le boulevard des allongés”. Un arrière grand-père blessé à Verdun, une main à jamais emprisonnée dans ce gant noir qui, gamin, me fascinait. Je le fixais et je croyais entendre les obus, les balles, la mort galopante. Un grand-père postier, stalag en Silésie avant de se muer en artisan du cuir à la libération. Il fabriquait des ceintures. Beaucoup de travail. Moins de faucille et de marteau, plus d'argent. Socialiste. Classique. Un grand-père pas grand, trapu, pas facile et capable, quand il acceptait de quitter son atelier et de ne pas arroser ses petits-enfants de billets rédempteurs, de partager des moments que je n'ai jamais oubliés, où la simplicité suffisait à provoquer des rires libérés. Mon grand-père qui, un jour d'été 1977, dans un restaurant de Perpignan, sur la route de l'Espagne (où je me retrouverais à jouer sur la plage, un soir, avec le Real de Madrid au grand complet), dit à sa fille, oubliant ma présence, celle de ma grande soeur et de tous les clients (chez nous, on parle fort et la honte n'appartient qu'aux autres) : “Ma chérie, écoute moi bien, tant que je serai vivant, il est absolument hors de question que tu épouses un nègre.” Nègre camerounais croisé au Club Med, que ma tante épousera quelques années plus tard sans que mon grand-père ne moufte, évidemment. Nègre qui devint assez rapidement son troisième fils, pour des raisons autant touchantes, sincères que pragmatiques. Racisme à la française, brûlant et passager, qui se consume avec la proximité, quand elle est douce et non majoritaire. Des gens simples en somme, parfois méchants, souvent bons. Que j'ai aimés de tout mon coeur. C'est chez eux que j'ai vu mes premiers films (Patton, Affreux, Sales et Méchants !!!) moi, l'interdit de télévision à domicile. C'est chez eux que j'ai pu amener sans crainte le premier amour de ma vie alors que le reste de ma famille la surnommait avec bonhomie “la pute”. C'est chez eux que j'ai compris qu'une famille, ce n'est pas du sang mais d'abord des silences, des lignes invisibles et des larmes cachées. Jamais je n'oublierai mon ultime visite à ma grand-mère dans sa maison de retraite où son autre fils, médecin, l'avait inscrite de force, après le décès de son mari. Mes poings serrés et mes yeux humides, sur le parking, après un dernier baiser. En quelques mois, elle avait tout abandonné. Joie, insouciance, partage, Sevran, tout! Et elle est morte. Seule. Loin de sa maison. La terre au dessus du cercueil remuait encore que la famille se disputait déjà les restes (fric, meubles, immobilier et souvenirs divers). La gerbe. Voilà.

Une pudeur vertigineuse. Les sentiments, chez nous, c'était un chantier titanesque.

Impossible.

J'écris peut-être pour ça.

De l'autre, Vésinet. Petits commerçants catholiques. Comme un cliché. Un cliché. Radins, mesquins, intransigeants, disciplinaires, anti-rêve et pro-ennui. Des souvenirs de vacances où le temps hurlait sa mélodie de torture. Les aiguilles me narguaient, freinaient leur course pour mieux m'écraser. À cause d'eux, j'ai longtemps vomi Dieu, ses apôtres et toute la putain de sainte trinité. L'église était une prison, la vie avec eux un châtiment sans fin où à peine quelques rires comme échappés du néant ont pu traverser toutes ces années grises, plates, définitives. Mon grand-père ressemblait à une sorte de Chaban Delmas. Plutôt bel homme, à l'humour instinctif, il aurait pu être ce grand-père idéal, capable de déclencher chez ses petits enfants des vocations. Des destins. Mais non. Avare, trop dur pour être crédible, il ne vivait que dans la privation, les petits calculs terribles, les sanctions disproportionnées. Ma grand-mère ne valait pas beaucoup mieux. Vers la fin, je l'appelais le Gremlins à cause de sa mèche grise qui coupait en deux sa chevelure noire. Un jour, alors que je parlais avec Anne (le premier amour de ma vie cité plus haut) au téléphone, elle coupa la communication et me demanda, après avoir fermé la porte du bureau de mon père : “As-tu commis le péché de chair avec cette Aaaaaaaaaaaanne ?”.

Ma mère est une sainte. À cause de ou grâce à. Elle aurait pu devenir comme ses parents, des épaules basses, des idées-brouillons, des actes-bégaiements. Frilosité camouflage. Non. Elle a préféré pardonner. Elle a donné dans une famille où on ne faisait que prendre.
L'une de ses soeurs se prénomme Jeanne (les prénoms ont été changés). Aujourd'hui je crois adjointe d'un maire dans une bourgade bourgeoise des Yvelines. Mariée en quatrième vitesse parce qu'enceinte. L'hypocrisie et la bêtise de ces gens-là. C'est aussi ma marraine. Elle a donc épousé un homme qui deviendra banquier. Petit banquier. Qui portait des pulls atroces et qui avait la fâcheuse habitude de nous tripoter à chaque réunion familiale, malaxant nos épaules et maltraitant nos joues, obséquieux, méprisant et méprisable. Le genre d'homme à croire que c'est la position sociale qui fait tout. Le jour où il débarqua chez nous au volant de sa Renault 25 neuve! Dieudonné pourrait en tirer un sketch à crever. Les deux ont copulé au moins trois fois. Je le sais parce qu'ils ont eu trois fils. Quand ils n'étaient pas à l'église pour piétiner le peu d'honneur qu'il restait encore au catholicisme français, ils comptaient leurs sous et dégainaient de la morale à chaque nouvelle phrase. Salauds de pauvres, salauds de parasites, salauds de chômeurs, salauds d'étrangers, salauds de roturiers (mon père, juste armé du bac et exerçant un métier manuel, était, à leurs yeux, l'archétype du raté honteux), rien n'était assez bien pour ces fervents croyants. À dégueuler.

Leur plus jeune fils, qui avait le portrait du pape et de la Vierge Marie dans sa chambre, dans laquelle souvent brûlait un cierge, rêvait de devenir comédien. N'osa pas aller jusqu'au bout parce que chez nous, les couilles sont en soldes et les rêves vite ravalés. Il me visita un jour, dans mon appartement du onzième, je ne sais même plus ni comment ni pourquoi. Il avait été franchement sympathique. On fuma des joints toute la nuit. C'était même pour moi déstabilisant. Très vite cependant, la réalité reprit ses droits. Il disparut de ma circulation. Il a depuis épousé une Burkinabée. Papa plusieurs fois. La tronche des parents quand ils ont dû l'annoncer à leurs amis (amis, comprendre relations, ces gens-là ne fraternisent jamais, ils collaborent, pactisent à la rigueur) ! Christian Clavier dans “Qu'est ce Qu'on a fait au Bon Dieu ?”, à l'église, quand il presse le pas pour ne pas avoir à présenter ses gendres Benetton à l'industriel du coin. Le petit dernier, qui foire ses études (déjà, c'était presque Satan qui frappait à la porte), qui organise je crois un trafic de cassettes porno au lycée (les flammes, encore !), qui consomme de la drogue et qui finit par épouser une NOIRE. Et pas fille d'ambassadeur. Non. Une du peuple. Et qui en plus se reproduit avec!!! J'imagine les trésors de connerie déployés par ma chère marraine et son retraité aux futs en velours ignobles pour se justifier, pour expliquer aux autres l'impensable. Ils ont sûrement dû financer un puits ou deux là-bas, histoire d'honorer leur cohérence. Je sais par ma mère que mon cousin vit maintenant avec toute sa petite famille banania en Côte d'Ivoire.

Et aujourd'hui, j'apprends que le Burkina est aux portes de la guerre civile. Côté d'Ivoire, Burkina Faso... Hé, cousin, fais quand même gaffe à toi.

Tu n'y es pour rien finalement. Tes parents sont des cons et puis voilà.

L'Afrique t'offrira peut-être une seconde chance. Avec ou sans coup d'état. Avec ou sans paradis.

J'ai une famille.

À part Rémi, qui peut revendiquer le contraire ?

Il y a là quelques âmes à sauver.

Que toutes les autres aillent brûler en Enfer.

Texte / Jérôme Reijasse

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