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Le Gri-Gri International

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Lettre d'amour amère aux supporters du Standard de Liège / Jérôme Reijasse (#PSG)

Publié par Gri-Gri International sur 16 Octobre 2014, 10:00am

Catégories : #Jérôme Reijasse 7 jours loin du monde, #Arts & culture

Lettre d'amour amère aux supporters du Standard de Liège / Jérôme Reijasse (#PSG)

En attendant qu'il ait trouvé un titre de rubrique aussi performant que 7 jours loin du monde, les lettres d'amour amères de Jérôme Reijasse, destinées à ce qu'il reste d'humain, d'innocent et de non dérisoire en chacun d'entre nous, seront classées dans 7 jours...

Je n'écris plus. Plus pour vivre en tout cas.

J'étais un drogué. Je suis un drogué. Trois ans de descente, trois ans à apprendre à décrocher. J'y suis presque. Ce qui réchauffait mon coeur et élevait mon âme ne sera bientôt plus. Le Parc des Princes souvenir déchirant, tombe abandonnée. Ils ont gagné.

Ils ? Les amis qui pensent bien, les inconnus qui jubilent à chaque nouvelle victoire et comptent les points, les marchands du temple. Fourmis. Leur époque, leur monde, leur oxygène. Et moi ? Puis-je encore respirer ?

Hier soir, la télévision.

Un documentaire.

STANDARD.

Un adolescent blond marche, seul, dans une rue grise. On le suit. Il ne parle pas. Il sait où il va. Il ressemble à Tintin. Sans Milou. Il marche, encore, il se tait, encore. Il vibre. Il vit. Indéniablement.

Un cinquantenaire, prolétaire, achète ses cigarettes quotidiennes et la presse locale. Toute. Il rentre chez lui. Là, il découpe des articles qu'il archive minutieusement dans des classeurs. “Plus de 100 000” revendique-t-il. Au premier étage, un musée, son musée. Aux murs, des photos, des maillots, des écharpes, même une cravate. Toute une vie punaisée, rangée comme il faut, la passion affichée. On le voit enfant, déjà vêtu de rouge et de blanc, un ballon de cuir à ses pieds, le sourire de celui qui a choisi pour l'éternité. On devine qu'il n'a jamais perdu la foi. “Quand tu entres pour la première fois dans ce stade, tu es pris...” dit-il. Je le crois. Je l'envie.

Deux ultras dans une voiture. L'un fil de fer, à l'arrière, la ceinture accrochée. L'autre conduit, costaud, tatoué de partout. Ils roulent vers la coupe d'Europe. Le passager dévoile son obsession. Il en parle mieux que bien. Ça coule, ça explose, les mots sont tous admirables. Les pauvres, quand on se donne la peine de les écouter, racontent de belles histoires.

Yann Barthès devrait avoir honte.

Des dizaines de gens à genoux, dans un hangar. Ils peignent, appliqués et fiers. Leur silence impressionne. Un diable géant sort du néant. Le tifo pour le prochain match existe. Reste à le déployer. Quand il coule sur la foule, je frissonne.

Une mère et son fils, en tribune. Un but est marqué. La maman hurle sa joie et demande à son sang d'en faire autant. Ils tendent une écharpe au ciel. “Pour papa, pour papa” dit-elle. Première larme.
Un camion avec une banderole, revendiquant la passion plutôt que le pognon. Des milliers de supporters qui suivent ce convoi de métal et d'amour, Nirvana en guise de bande-son. Naïveté d'apocalypse, tripes à l'air, dernier sursaut avant la fin ? Des fumigènes provoquent les Cieux, des chants déchirent le cynisme roi. Ils sont là, ils refusent d'abandonner. Ils sont généreux, concernés, ils ne veulent pas être effacés.

Derrière le stade, la mine. Est-elle encore en activité ? Ce plan large, immobile, dit beaucoup. Jour de match : des gens traversent un champ, il y a une femme qui porte le vélo de son enfant, un père avec ses gamins, la clope roulée au bec. Ils s'installent derrière le grillage. Un bout de pelouse comme horizon sacré. Ils attendent que la messe commence, sans ticket ni rien.
Un ancien gardien du club rend visite au cinquantenaire collectionneur. Il se souvient de sa bourde contre une équipe allemande, je crois. Il pensait avoir bloqué la balle mais en fait, non. Elle a terminé sa course au fond des cages. Élimination. À quelques minutes de la fin. Le rêve européen envolé. En face de lui, le fan ne dit rien. Il ne lui en veut pas. Il l'aime et le reste n'a aucune importance.
Match contre Anderlecht. L'ennemi héréditaire apparemment. L'arbitre dégaine deux cartons rouges. Dans les tribunes, on ne comprend pas, on crie à l'injustice. Le coup de sifflet vient mettre fin à l'épreuve. Les ultras exultent. L'équipe a su préserver le nul, malgré l'infériorité numérique. Un homme exhibe un maillot du PSG et semble narguer les supporters adverses. Je ne sais pas pourquoi. Deuxième larme, à l'intérieur.

Une soeur, un frère, un père malade, historique du club. Il tremble, ne parle pas. Son regard est déjà ailleurs. La mort rôde, c'est bouleversant. En voix off, sa fille raconte la passion du père. Il fait froid, les mains sont rouges et les virages quand même bondés. Un nouveau match va débuter. Le papa condamné fixe la caméra avant de sourire. C'est la fin.

Ultime larme.

STANDARD n'est pas qu'un documentaire. C'est le film, beau, intense, poétique, brûlant, de tous les damnés de la terre, de tous ceux qui ont préféré, au serpent de la réalité, le vertige de l'appartenance. De Liège à Paris.

Texte / Jérôme Reijasse

PS : lien vers un site traitant du film ICI.

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