Né quelques années avant que Claude François ne change la mauvaise ampoule, j'ai grandi en écoutant, dans l'ordre : Chantal Goya, de la variété, Pink Floyd, The Cure, Joy Division, Fugazi, et du rap. Américain. Version originale. En premier, les Beastie Boys, 1986. Après, il y a eu Public Enemy, nos Kiss à nous, bien méchants et déguisés comme il faut. Et puis 3rd Bass, LL Cool J, De La Soul, A Tribe Called Quest, le Wu Tang, Mobb Deep. En France, il y avait eu H.I.P.H.O.P., l'émission de Sidney en 1984 -j'avais déchiré mon K-Way tout neuf en tentant de reproduire un samedi après-midi les figures impossibles aperçues à la télé. Au début, le rap français me faisait plutôt rire, comme Téléphone et toute la clique du rayon rock.
Difficile d’adhérer, je trouvais ça copié, maladroit, poussif, grotesque. Anecdotique. Et puis un jour, avec les potes de l'époque, on tombe sur Ministère A.M.E.R. Tout de suite, on capte. Clairement, c’est pas la même chose. Je découvre Kenzy, un jeune gars avec des lunettes, les yeux droits devant, la voix cassante. Intransigeant, un discours costaud, direct, clivant sans rougeur, craché comme une grenade. Génial. Voilà, c'est comme ça que les choses devraient être, jamais autrement : dures, belles, définitives. Aussi, le premier Gyneco (grand disque –mais de pop), quelques titres de Lunatic et Booba, d'Arsenik.
Dans le rap, j'aimais les rythmes hypnotiques, les histoires d'un autre monde. C'était un aspirateur à habitudes. Très vite, j'ai un doute. On m'avait déjà vendu le punk comme une révolution électrique (rires) et là, on me refourguait le truc, le nouveau Molotov qui allait tout embraser. Devenu journaliste pourtant, à chaque interview d'un rappeur, je constate un décalage. Là où les médias parlaient social, banlieue, post-colonialisme, les rappeurs, eux, évoquent le storytelling, l'egotrip, la bite et le nombril. On me désignait des porte-drapeaux, je ne croise que des témoins. Doués ou pas. Cyniques ou encore trop romantiques. Les années ont passé. Le rap a grandi, a begayé, et s'est pris les pieds dans le tapis. Comme toutes les autres musiques populaires avant lui.
Le rap français n'était pas une révolution, n'en déplaise aux milliers d'articles, reportages, thèses et bouquins qui ont tenté de réécrire l'histoire depuis ses débuts et qui n'ont enrichi que leurs auteurs. Trop de gens ont menti. Le rap était d'abord et avant tout la passion brûlante, intense, quotidienne, sans concession de quelques milliers d'acteurs et d'auditeurs. Il y a eu des perles, des hontes, des espoirs, beaucoup de déceptions. Mais à l'heure de relever les compteurs, pas de quoi écrire une légende. Et pourtant. Un homme vient de publier un livre. Un livre qui, peut-être même sans le savoir, raconte le vrai rap, en détruit ses codes les plus idiots, synthétise une époque sur le point de crever.
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