La France et les USA n’avaient pas ménagé leurs efforts pour que le bicentenaire de la création de l’Etat d’Haïti ne soit pas commémoré, le 1er janvier 2004. Il fallait à tout prix séparer Haïti des Africains, de peur que la petite république caraïbe ne devienne un jour l’axe de la renaissance africaine. Régis Debray, Dominique de Villepin et Édouard Glissant, profitant de son grand âge, étaient allés faire pression sur Césaire pour qu’il refuse d’assister à la cérémonie, et qu’il donne, de ce fait, sa bénédiction au coup d’État qui était programmé. On lui avait dit qu’Aristide était un dictateur et il le crut. L’Afrique du Sud ne se laissa pas influencer par ces mensonges. Un porte-hélicoptères apparut dans la baie de Port-au-Prince une dizaine de jours avant les célébrations. Ce n’est pas sans émotion que j’ai vu arriver les gros hélicoptères envoyés par Thabo Mbeki et qui ronronnaient au-dessus de la ville comme pour montrer que l’Afrique était venue au secours des descendants de ceux qui avaient été arrachés à leur terre par de monstrueux prédateurs. C’était un jour de deuil pour Régis Debray et ses amis. Les Sud-Africains avaient expédié une équipe pour organiser l’intendance de la cérémonie. Ce sont eux qui établirent les laisser-passer et organisèrent le système de captation du spectacle qui fut monté à la hâte. J’écrivis un petit texte de théâtre pour être joué ce soir là. Le 1er janvier 2004, les cérémonies commencèrent le matin, en présence de Thabo Mbeki, du premier ministre de la Jamaïque, de Maxine Waters, députée de Californie représentant le Black Caucus, de Danny Glover, de Randall Robinson, et surtout de plus de cent mille Haïtiens qui agitaient des drapeaux en chantant l’hymne national. Ils étaient si nombreux qu’ils s’étaient juchés sur les grilles entourant le jardin du palais national. Elles plièrent soudain sous le poids de la foule ainsi agglutinée et les plus humbles purent se mêler aux invités officiels. Une courte cérémonie devait avoir lieu aux Gonaïves. Quant on sait que l’organisateur en était Gabriel Frédéric, celui-là même qui avait remis à l’ambassadeur Burkard, le 9 novembre, copie du dossier juridique sur la restitution de la dette de la France, on se doute qu’elle fut sabotée et avec l’aide de qui. Il y eut quelques tirs d’armes automatiques en direction du président Aristide et de Thabo Mbeki qui, heureusement, ne furent pas atteints. Le soir, un spectacle fut présenté au Palais national. Les violons de l’orchestre amateur Sainte-Trinité et le ballet national de Cuba furent mis à contribution. Le texte que j’avais écrit, Le rêve de Mandela, fut joué par Danny Glover et Jean-Michel Martial. J’étais à peu près le seul français parmi les invités d’honneur en ce jour historique où l’ambassadeur Burkard grimaçait plus encore que de coutume. Christiane Taubira était très attendue, mais elle ne vint pas. Elle expliquera sans doute un jour pourquoi. Aucun de ceux qui, en France, ont fait depuis de l’esclavage leurs fonds de commerce n’étaient là. Aucun journaliste de la presse occidentale ne rendit compte de l’événement qui, officiellement, n’a jamais existé ; pas plus que la bataille de Vertières qui entraîna la capitulation française , le 18 novembre 1803. (À suivre)
Texte - www.claude-ribbe.com