
Il en va pour les Sudistes de leur survie : 2011 - toute considération électorale et conquête guerrière écartée - peut être, en relations internationales, considéré soit comme « l’installation du président reconnu par la communauté internationale » par la force des armes occidentales (force Licorne et Onuci).
Soit, comme je l’ai personnellement soutenu, comme un « coup d’Etat franco-onusien » contre le président Laurent Gbagbo, reconnu élu par le Conseil Institutionnel ivoirien (en accord avec la Constitution, à la suite de fraudes massives au Nord) mais jugé rebelle, fut-ce symboliquement, à l’ordre impérial.
Tout cela au prix d’un nombre de morts civils indéterminée : de 2002 à 2010 au Nord, fief de M. Soro. Pendant la conquête du Sud et le carnage d’Abidjan, de décembre à avril 2011. Puis decrescendo dans les mois et années qui ont succédé, de 2011 à nos jours - et que j’estime personnellement de 2002 à 2014, à plus de 5000 victimes civiles causées par le camp de Guillaume Soro et d’Alassane Ouattara.
Mais en fonction de l’avenir, de 2015 en particulier, la violence symbolique du trucage définitif des urnes par inscription massive des sympathisants nordistes, de culture mandingue, risque de raviver deuils et souffrances de 2011 et conduire à une explosion des passions dans les villages et les quartiers - ce que les demandeurs de vengeance - ou de justice - baptisent déjà le « match retour », sanglante métaphore entendue déjà à Bangui et ailleurs - comme dans une sorte d’épidémiologie - pan-africaine - des représentations et formes de la violence.
Car l’équation électorale ivoirienne, en simplifiant, tourne autour de l’équilibre de trois grands « blocs ethnico régionaux », chacun maîtrisant environ 1/3 des voix. Il s’agir des blocs Est (Akan, comme les Baoulés), Ouest (Krou, comme le peuple bété) et nordiste (populairement « dyoula » comprenant sénoufo et surtout malinké, ethnie d’origine de Ouattara, qui truste la plupart des postes de l’appareil d’Etat).
Des alliances des blocs alternées assurent des majorités changeantes, via les grands partis qui représentent les blocs : ainsi actuellement l’alliance du RDR de Ouattara avec le PDCI de Bédié compose la majorité, rejetant le FPI de Laurent Gbagbo (et en son absence d’Affi N’Guessan) dans l’opposition. Certes l’électorat du FPI est davantage pluriethnique : dans Abidjan, métropole de 5 millions d’habitants où les identités se dissolvent, il est aussi le parti des déshérités et de la jeunesse urbaine.
Mais une naturalisation subreptice d’un million de sahéliens fausserait ce fragile équilibre et pourrait conduire au pire, par une réunion des Sudistes en voie de devenir définitivement minoritaires dans leur propre pays.
D’autant qu’un dangereux vide, une absence de leadership transparti et un « gap » générationnel, se sont installés sans qu’on y prenne garde. On assiste en effet, sinon à une disparition, du moins à un effacement des trois principaux acteurs politiques. Laurent Gbagbo transféré - et pour ses partisans, déporté - à la Haye, Henri Konan Bédié touché par la limite d’âge, l’actuel chef de l’Etat hospitalisé régulièrement et à la santé incertaine, un véritable vide politique pourrait s’instaurer, sans relève bien légitime.
Ces incertitudes, à la fois structurelles et personnelles, pourraient donc être surdéterminées par une crise électorale conjoncturelle, créée artificiellement par le gouvernement d’Alassane Ouattara, à partir de mesures réglementaires désastreuses dont nul n’a sérieusement envisagé les inquiétantes conséquences.
Si par malheur le régime actuel s’entête à des élections massivement truquées, et notamment si le parrain français laisse faire, une rébellion cette fois du Sud, à coup sur sanglante et semblable à la réaction violente en Centrafrique contre la Séléka et par extension les populations musulmanes, risque de se déclencher. M.Hollande enverra-t-il à nouveau les hélicoptères d’assaut et les blindés massacrer à Abidjan les civils insurgés, mais désarmés ? On peut espérer que le bon sens prévaudra avant que ce terrible questionnement se pose au pouvoir français… Qu’on ne dise pas, alors, qu’on n’a pas été averti !
Dans quelques mois, quelques semaines, il sera trop tard. Qu’on permette à un observateur engagé, après 20 ans de suivi politologique, de tirer une dernière fois la sonnette d’alarme, en faveur de la paix, et de préconiser les solutions consensuelles connues de tous. Libération de Laurent Gbagbo par une CPI mise au ban des gouvernants africains mais relais des puissances occidentales, réconciliation véritable et Conférence nationale (quelle que soit son nom ou sa forme), refonte des listes électorales, amnistie générale, réforme équitable de la Ceni (la loi récente prévoit, pour cette Commission électorale « indépendante », seulement 3 membres de l’opposition sur 13…), etc... Tout autre solution semble porteuse de terribles drames encore à venir.
Photo - dr Texte - Michel Galy (1)
[1] Politologue, professeur de Relations Internationales à l’Ileri (Paris), spécialiste de l’Afrique sub-saharienne