(Ce texte est déjà paru ici même, le 9 février 2009)

« Le bonheur est un flingue chaud. » Comme les Beatles, Léa en est persuadée. C’est pour cette raison qu’à la 25ème page seulement et en dépit d’y avoir été violée, elle décide de partir vivre dans la Zone. Samuel par amour l’accompagne. Voilà le début d’Un monde parfait.
« Il fallait créer les Zones, il n’y avait pas d’autres choix. » La Zone, lieu de non-droit où l’on a getthoïsé toute la lie des villes. Villes sans cigarettes, sans alcool, sans graisses, sans armes et sans saveur, dont on s’échappe pour justement satisfaire son besoin d’émotions fortes dans la Zone.
On peut tout y faire, se défoncer à cette nouvelle drogue, le Fly Me II The Moon, tuer des femmes et des enfants moyennant récompense…
Franck Duluth, c’est le genre d’écrivain cynique et apeuré qu’un jour on découvre son imposture.
« Je ne lis pas les livres, je les écris. »
Il fait des virées meurtrières dans la Zone avec le Président, un certain Stéphane Vescraut, maltraite par pure méchanceté un jeune garçon venu lui demander un autographe dans un train, ne baise plus sa femme si compréhensive…
Léa par ennui a pris la plus importante décision de sa vie.
Elle adopte avec Samuel et sous l’égide d’Hector, leur voisin qui fabrique des meubles, le code de la Zone et se prend d’affection pour ses deux fillettes. Souvent high grâce au Fly elle pense pourtant « dompter le réel…et l’écraser comme une mouche dès qu’il vous mord. »
La violence aidant toujours, Franck et Léa finiront par se rencontrer.
Mais avant, Mano jeune écrivain déjà trois fois publié, ne leur laissera aucun répit.
Je ne sais rien de Mano, mais j’ai lu son livre comme on suce un bonbon. Enfin, un bonbon qui t’explose par surprise dans la bouche pétille et crépite longtemps avant de te laisser un goût très acide au fond de la gorge.
Ça va vite, c’est immoral et violent, pas science fictionnel, malgré les Oder, et très proche dans l’imagerie que je m’en fais d’un jeu vidéo. Léa un peu Lara Croft va d’ailleurs décider, suite à un drame terrible, de rentrer en action… armée, tandis que Franck se rendant compte qu’il ne compte justement pas dans le monde du pouvoir qu’il côtoie, va se découvrir très malade.
Entre ce subtil mélange de réel-virtuel, des innocents vont mourir, oui, mais défoncé on peut les retrouver et passer de doux moments à leur côté. Quand la drogue vient à manquer même le pouvoir tremble. Tout bascule.
Mano nous oriente sans jamais nous pousser à bout. À l’affection évidente qu’il a pour les Zonards attendant leur Messie, il ajoute cette vision pragmatique : « Qu’un riche qui nous dise d’y aller, nous montre le chemin. On le suivra. Immédiatement. »
Des angoisses d’hommes et de femmes qui cherchent à s’extraire d’une condition pour mieux rentrer dans une autre. La lutte armée ou le renoncement. Le sacrifice ou l’égocentrisme. Joëlle Aubron ou Révérend Moon. On se balade de cités sales et grises en villes ultra-aseptisées comme dans Ville noire, ville blanche de Richard Price sans que jamais elles ne s’interpénètrent au risque d’explosion. Et jusqu’au Sénégal, grande banlieue parisienne.
Si la sécurité est menacée comme on essaie de nous le faire avaler depuis quelques décennies, Mano sans être visionnaire a trouvé une solution. Qui pourrait devenir un gros problème si des politiques peu scrupuleux lisaient Un monde parfait et décidaient de copier coller la création des Zones aux abords de nos villes. Ce temps ne semble pas si lointain… Mais tant que je peux retrouver dans son livre intact le parc Montsouris et RTL, je garde l’espoir que ce monde parfait n’est pas pour demain.
Princess Erika
Photo de Mano : Jean-Marc Gourdon
Un monde parfait, un roman écrit par Mano et publié par les éditions Léo Scheer en janvier 2009 et à Paris.