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Hommage initialement paru le 13 octobre 2014 à Abidjan dans les colonnes du Nouveau Courrier.
Yvette Blé était une toute petite bonne femme et une très grande dame.
Je l'ai vue, saluée et admirée partout où la résistance ivoirienne m'aura emmenée. Qu'il soleille, pleuve, vente, gèle ou neige. Toujours d'humeur égale, c'est à dire survoltée. Révoltée. Scandalisée. Inexaucée. Humiliée au sens le plus haut et le plus noble du terme, et par là grande et exemplaire d'avoir su ne pas accepter. Ne jamais céder, rompre ou même plier. S'être levée. Une fois. Dix fois. Jusqu'à se tenir debout pour toujours et à jamais.
J'ai en tête la fraîcheur de ses joues lorsque nous nous faisions la bise. Ses yeux rieurs. Sa voix. Ses facéties. Sa constance, dans l'art délicat du tamponnage de passants à édifier sur ce qui se passe au pays. Son courage, assise sur l'asphalte parisien face à des compagnies plus de sécurité que républicaines.
Je n'avais jamais vu ou entendu avant la crise ivoirienne des femmes, je veux dire, des mamans, des dames en âge d'être ma mère, tout ce qu'il y a de polies et de respectueuses, capables, tout au bout du désespoir, lorsque l'injustice, l'immoralité et l'impossibilité se conjuguent et se combinent pour frapper les plus faibles toujours plus fort, d'insulter les policiers avec au fond des yeux la certitude justifiée d'un bon droit bafoué.
Yvette n'était certainement pas la plus injurieuse, mais je n'ai rien vu de plus violent, de plus brutal, de plus désespérant, ni avant, ni depuis.
Avait-il fallu qu'on les pousse…
Yvette Blé et ses soeurs me permettent d'enfin comprendre comment les femmes maliennes s'y prirent pour faire chuter Moussa Traoré.
J'aimerais en ces instants pouvoir calculer, à la seconde près, à l'euro près, à l'émotion près, ce qu'Yvette aura sacrifié, d'elle, de sa vie de femme, d'épouse, de citoyenne à la cause ivoirienne.
Ça ne consolerait personne, mais permettrait de mesurer que l'héroïsme n'a besoin ni d'armes ni de violence pour apparaître à nos yeux cyniques.
Je n'oublierai jamais sa petite silhouette électrique, avec toujours des vêtements près du corps, ceux de la militante parée à affronter le ciel, les crs gazeurs de Sarkozy ou les regards hagards d'incrédules badauds parisiens - pas toujours très concernés par ce que leur pouvoir commet en leurs noms - à qui, inlassable, avec humanisme, humanité et conviction, elle expliquait, disait, racontait ce qu'en Côte d'Ivoire la France a fait.
Les résistants ivoiriens (et sympathisants) la connaissent tous, Yvette Blé.
Et tous l'aiment autant que moi.
Car c'est au présent qu'on honore et célèbre les grands noms.
Si tu ne connais pas Yvette Blé, c'est que tu n'as pas résisté.
Moi, j'avoue, je connais plus son époux, à qui je pense tant et si fort aujourd'hui.
Stanley Koudou Prager, c'est son nom non pas de guerre mais de paix.
Car ces deux-là sont des anges de la paix.
Texte / Grégory Protche