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Le Gri-Gri International

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7 jours loin du monde #43 - Daniel Darc est mort - par Jérôme Reijasse, le texte

Publié par Jérôme Reijasse www.legrigriinternational.com sur 1 Janvier 2013, 02:00am

Catégories : #Jérôme Reijasse 7 jours loin du monde

darc-gri-gri.jpgJérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Météorique rédacteur en chef d'une émission culturelle quotidienne. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi... et même si des fois pendant plusieurs semaines il n'écrit pas, ce qui est son droit) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.

Daniel Darc est mort. À un âge où les rockeurs et les camés ont depuis longtemps rendu les armes. Il a lutté, Daniel. Il a tenu tant qu'il a pu. Et puis...

Ce n'est pas la tristesse qui domine aujourd'hui. Plutôt le sentiment qu'on ne va pas du tout aimer ce que l'on va lire, entendre, voir dans les prochains jours. Parce qu'il y a une chose indéniable : les gens sont sales, souvent. Et ils aiment que les autres souffrent à leur place. C'est pour eux un spectacle. Un soulagement également.

J'en ai croisé, des connards qui fantasmaient Darc. C'était, à les écouter, un survivant, un phénomène, un ami. Dit-on d'un ami qu'il sent mauvais, qu'il marche comme un crabe ivrogne, qu'il pue du bec, qu'il est infréquentable ? Il ne faudrait pas. Et pourtant, ils l'ont dit. Ils applaudissaient en silence quand il dépassait les limites, ils en redemandaient. Sales, oui.

Je connais des journalistes, des musiciens, qui aimaient s'afficher à ses côtés. Des ploucs, des parasites, des médiocres, bien sûr. Des déguisés, qui confondaient absolu avec panoplie grotesque. Mais la lumière que Darc irradiait, ils en profitaient un peu. Oh, pas pour changer le monde ou s'élever. Seulement pour récupérer les miettes de poésie et de sexe qui parfois, effleuraient leurs chaussures (de marque).

Je ne sais pas si Darc était dupe. Il était capable d'honorer une lucidité presque sacrée comme de sombrer dans des monologues sombres, tortueux, voire indigestes ou risibles. Je sais qu'il craignait la solitude. Il s'en défendait quand ça devenait trop évident mais derrière l'ex loubard beau gosse icône, il y avait cet enfant qui hurlait dans l'obscurité.

Moi, Darc, je l'ai, comme tout le monde en province, découvert avec le tube "Cherchez le Garçon" (1981?). Un pote de mon cousin avait parlé de "rock androgyne". Je m'étais précipité sur mon dictionnaire. La réponse ne m'avait rien appris. J'avais imaginé autre chose. Cette chanson était parfaite, elle vrillait le cerveau et, sans rien demander, imprimait mes neurones pour toujours. Comme une caresse de barbelée. Darc, aperçu à la télé dans le salon de mes grands-parents, m'avait paru inquiétant, séduisant, arrogant. Déjà fatigué. Et puis, j'étais sensible à la mélancolie. Et cette chanson n'en manquait assurément pas.

Et il était beau. Peut-être le Français le plus émouvant plastiquement depuis Delon. Daho, à côté, c'était une crevette surgelée pop, Goldman un VRP en cravate de cuir, Johnny, déjà un produit en soldes. Darc a ouvert les portes de la sauvagerie synthétique, de la grâce urbaine, bien avant les rappeurs. Rires.

Et il est mort. Médicaments et alcool. Les fans pleurent à chaudes larmes mais il n'y a rien de plus con qu'un fan alors ce n'est pas grave. Je l'ai croisé à plusieurs reprises. Il riait comme un petit démon, il exhibait ses tatouages, il ressassait ses souvenirs, des plus heureux aux plus glauques. Il y était question de Taxi Girl, du succès foudroyant, des potes qui trahissent, de couteau torturant sa chair. Il aimait Johnny Cash, Elvis, Dieu, sans savoir vraiment lequel. Juif protestant anarchiste. De quoi rendre folles Fourest et sa clique. C'était aussi et surtout un écrivain frustré. Je suis persuadé que s'il avait pu troquer toute sa musique contre un seul vrai livre, il n'aurait pas hésité. Comme Gainsbourg, il n'ignorait certainement pas que le rock, ce n'est pas sérieux. Que ça ne suffit pas. La chose la plus marquante quand on le rencontrait, ses mains. Deux boulets capables de détruire des villes entières ! La drogue, les multiples abus, l'avaient littéralement plié, Darc. Il marchait et il était ce vieillard tout droit sorti d'un Dostoïevski mais ses mains !!! Gigantesques, improbables, captivantes ! Et quand il regardait l'autre droit dans les yeux, malgré le corps cassé, malgré ses mots qui trébuchaient souvent et qui parfois polluaient ses visions, on comprenait qu'il fallait le respecter. Darc avait été un homme, plus Genet que Cantat. Un homme d'un autre temps, quand la violence et l'appartenance ne se limitaient pas à une posture ridicule.

Il fallait aussi savoir le quitter. Une fois en sa compagnie, très difficile de s'enfuir. Il s'accrochait, il sortait un harmonica et jouait, pour personne, pour lui, peut-être un peu pour épater les jolies filles présentes. Au beau milieu d'une phrase incompréhensible, il citait un écrivain (Wilde, Céline, Drieu, tous les bons) sans la moindre erreur. C'était assez déstabilisant. Et alors on lui pardonnait d'avoir abusé de notre temps et on restait encore un peu. Un jour, après un tournage pour un documentaire qui lui était consacré et alors qu'il insistait encore pour que l'on ne l'abandonne pas tout de suite, il tenta la carte de l'humour, la dernière chance : "Je peux te sucer si tu veux. Mais je te préviens, la seule fois de ma vie où j'ai essayé, le mec n'a pas réussi à bander. Je dois pas être fait pour ça..." avant de partir dans un éclat de rire, devant autant à l'impertinence de l'enfance qu'à une ultime prière pour encore exister. C'était également ça Daniel. Drôle et pathétique à la fois.

Ses deux derniers albums valaient le coup. Sur scène, c'était une chance sur deux. Soit magique soit manqué. La dernière fois que je l'ai aperçu, c'était rue de Charonne dans le onzième, pas loin de chez lui. Cette démarche chaotique... Un funambule, le mec, perché sur un fil invisible. Il portait ses mêmes bottes de motards, cette même veste en jean qui snobait depuis des lustres la laverie automatique. Un clochard céleste aurait pu écrire un rock critic de merde, pour faire le malin. Non. Un homme qui savait la fin proche.

Daniel Darc mérite mieux qu'une compilation-best of.

Photo - dr   Texte - Jérôme Reijasse

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