L’HERITAGE DE NELSON MANDELA
« Mandela est mort ». Le bandeau défile sur l’écran de la télévision, brutalement et inexorablement, mais ne parvient pas à
bousculer notre incrédulité. Depuis les heures terribles de l’été dernier où, sans relâche, tous les medias du monde guettaient la fin de l’un des plus grands Hommes qu’aura connu l’Humanité, et
plongeaient dans l’angoisse d’une annonce fatidique la terre entière, le fol espoir de voir Madiba demeurer longtemps encore au milieu de nous, symbole vivant du véritable Humanisme, reprenait
forme jusqu’à oublier que l’inéluctable est sans appel.
« Mandela est mort ». Le bandeau continue sa ronde funèbre et, désormais, prostrés et résignés, nous voyons les dirigeants du monde et les commentateurs se bousculer sur l’écran pour se persuader, pour nous persuader que celui que son père avait nommé, à sa naissance, Rolihlahla « celui qui crée des problèmes » en xhosa, sa langue natale, était vraiment parti.
« Mandela est mort ». Le bandeau pourra toujours tourner, les dirigeants et les commentateurs pourront toujours continuer à se bousculer sur l’écran, nous allons très vite cesser d’être prostrés et résignés, car, et c’est d’abord cela l’héritage de Mandela, l’Espoir d’un monde juste et équitable ne pourra jamais disparaitre car, comme il l’a lui-même écrit « l’espoir est une arme puissante et aucun pouvoir sur terre ne peut t’en priver ».
« Mandela est mort ». Dans l’Histoire de l’Humanité cela ne signifiera qu’une chose : Nelson Mandela aura cheminé sur la
Terre entre le 18 juillet 1918 et le 5 décembre 2013, une longue et exceptionnelle traversée, mais rien n’empêchera que Mandela continue à vivre dans le cœur des hommes pour
l’Eternité.
Cette traversée personne mieux que lui-même a pu la décrire. En lisant, et relisant, son autobiographie Un long chemin vers
la Liberté, on reçoit une extraordinaire leçon de vie où Mandela exprime sa force morale inouïe, son sens aigu du combat politique et sa capacité d’écoute, de compréhension et de
pardon, qui feront dire à l’écrivain sud-africain André Brink que c’est « ...un des rares livres qui deviennent non seulement un repère mais une condition de notre
humanité ».
Comment un seul homme a pu, dans un environnement de violence indicible, faire prévaloir le Droit et la Justice, animé par une
conviction sans faille, une humilité confondante et un esprit d’ouverture hors du commun, pourrait relever des mystères qui, faute d’explication rationnelle, sont définis comme des miracles.
Mais, à lire et écouter Mandela, le mystère se dissipe et le miracle s’efface devant la volonté, ainsi qu’il l’exprime dans une lettre écrite depuis sa prison de Robben Island à sa fille
Zindzi : « il est peu de revers en ce monde qu’il n’est pas possible de transformer en triomphe personnel si l’on a une volonté de fer et le talent
nécessaire ».
Vingt sept ans de prison, dont plus de dix huit au bagne de Robben Island, des années de clandestinité et de précarité, n’ont pas
empêché Nelson Mandela de devenir Président de la République d’un pays où, pendant des décennies, une minorité raciale arcboutée sur des convictions obscurantistes a soumis une majorité qui
n’aspirait qu’à la plus élémentaire dignité, l’égalité entre tous les hommes et femmes de ce pays.
Aujourd’hui Mandela est célébré inconditionnellement parce qu’il a su faire preuve, d’abord, de cette immense force d’âme dans la
tourmente de l’Apartheid, mais aussi et surtout, parce qu’au soir de sa victoire improbable, il a su prôner et réaliser la réconciliation de toutes les citoyens de son pays, sans distinction de
race ou de religion. L’exemple, unique dans l’Histoire, d’une telle prouesse au service des Hommes, obtenue dans le cadre de la Commission Vérité et Réconciliation présidée par
Monseigneur Desmond Tutu et venu ranimer la flamme vacillante de la Fraternité et de la Concorde d’un Vingtième Siècle finissant et éclaboussé du sang et des larmes de deux
Guerres Mondiales. Mandela s’avançant vers ses juges vêtu du traditionnel Kaross pour défier une Autorité qu’il sait illégitime, Mandela portant fièrement le maillot vert frappé du Springbok
symbole ultime de la force Afrikaner, en chaque occasion il incarne l’espérance et la foi dans un monde meilleur.
L’héritage de Mandela est un trésor que nul de pourra piller et que chacun devra porter en soi en signe d’hommage à sa
mémoire.
Je suis né blanc et j’ai grandi au cœur de l’Afrique Noire alors que de colonie elle devenait terre émancipée. Je suis totalement
conscient d’avoir vécu toute cette période dans l’insouciance d’une jeunesse privilégiée d’une part, et sans remise en cause d’un ordre qui paraissait immuable d’autre part. Plus tard, éveillé à
la connaissance du Monde tel qu’il était vraiment, je me suis sincèrement investi pour rendre, à mon modeste niveau, ce que cette Afrique m’avait apporté. Dans la Côte d’Ivoire
d’Houphouët-Boigny c’était, surement, un exercice plus facile qu’ailleurs. Mais je reconnais aujourd’hui que, derrière le « miracle ivoirien » il y avait un
« ordre établi », celui du parti unique et de la Liberté « surveillée ». Houphouët-Boigny fut, sans discussion une des Grandes Figures qui ont façonné l’Afrique des
indépendances et, d’ailleurs, apôtre du Dialogue, il fut un des rares Hommes d’Etat à discuter sans relâche avec les dirigeants de l’Apartheid dans l’espoir de les amener à changer leur vision du
monde et l’Histoire lui rendra un jour raison pour cet engagement qui a participé à modifier le cours de l’Histoire de l’Afrique du Sud.
Mais, dans son propre pays, il s’est longtemps crispé sur son pouvoir et il n’aura finalement cédé sur les principes élémentaires d’une
société démocratique, au sens noble du terme, que par le combat, pacifique et courageux, d’un homme, Laurent Gbagbo.
Il y a quelques temps un journaliste français avait écrit que « je comparais, sans rire (sic), Laurent Gbagbo à
Mandela ». Je m’étais longuement entretenu avec lui et j’avais, en plusieurs occasions, évoqué la même quête d’idéal démocratique chez les deux militants de cette cause. La Côte
d’ivoire n’était pas l’Afrique du Sud raciste, le « Vieux » ne faisait pas régner le même ordre implacable que le Parti National, mais le multipartisme, condition indiscutable d’une
démocratie adulte, et la liberté de la presse, au sens qu’on lui donne en Occident, étaient inatteignables pour les ivoiriens. Il aura fallu le combat politique, et seulement politique, de
Laurent Gbagbo, ponctué de prison et d’exil, pour que le multipartisme soit reconnu dans la pratique et que, pour la première fois en 30 ans de pouvoir, Houphouët-Boigny affronte un adversaire,
Laurent Gbagbo, à une élection présidentielle.
A l’heure où le départ de Madiba nous interpelle pour faire vivre son héritage, il faut rappeler quelques vérités et briser des
barrières convenues, érigées pour perpétuer un ordre établi à grands renforts de propagande médiatique. L’exemple de l’Histoire de la Côte d’Ivoire actuelle concentre la quintessence du
système : déstabilisation d’un régime élu par des bandes armées, imposition d’un dialogue avec ces bandes en faisant fi des structures constitutionnelles, mise en place d’un pouvoir
« choisi » sous couvert d’un processus électoral biaisé, utilisation de forces armées étrangères pour arriver au but défini. Cette « méthodologie » sans faiblesse a fonctionné
à maintes reprises en Afrique depuis les indépendances. Mais, cette fois-ci, après une « victoire » apparente en avril 2011, elle s’est grippée car, sous l’impulsion d’un homme, Laurent
Gbagbo, et le soutien grandissant, tant au pays que dans le monde, de tous ceux qui ont compris le sens de son combat, la situation, inexorablement, se retourne et, comme Mandela a abattu le mur
d’infamie de l’Apartheid, Laurent Gbagbo rendra bientôt aux Ivoiriens le droit de choisir librement leur Destin, dans le respect des uns et des autres. Ainsi, dans Côte d’Ivoire,
pour une alternative démocratique, Laurent Gbagbo écrit « La démocratie c’est aussi un acte d’humilité. C’est la prise en compte de la relativité des intelligences
individuelles et des doctrines. C’est le respect accordé à ses concitoyens. Etre démocrate, c’est reconnaitre qu’on a ni le monopole de la vérité, ni le monopole de la sagesse, ni le monopole de
l’amour de son pays ».
La Côte d’Ivoire ne pourra surmonter ses heures dramatiques que par une véritable Réconciliation. Elle passe, comme la libération de
Mandela en 1990, par la sortie de Laurent Gbagbo de son cachot de La Haye où, malgré un acharnement désormais indécent, l’accusation a failli à vouloir démontrer sa culpabilité.
La Réconciliation en Côte d’Ivoire sera ainsi la perpétuation du message de Mandela, qui l’avait définie ainsi un
jour : « …en fin de compte, la réconciliation est un processus spirituel qui requiert autre chose qu’un simple cadre légal. Il faut qu’elle ait lieu dans le cœur et dans
l’esprit des individus »
Shosholoza, shosholoza, Mandela !
Le 6 décembre 2013,
Bernard Houdin
Conseiller Spécial du président Laurent Gbagbo