Tribune parue dans Le Nouveau Courrier à Abidjan vendredi 5 avril 2013
Jusqu'à son illégal transfert de la Côte d'Ivoire à La Haye, fin octobre 2011, il régnait une certaine confusion autour de la Défense de Laurent
Gbagbo. Après l'intervention militaire française contre la résidence présidentielle et son arrestation, dans la semaine du 11 avril 2011, un collectif d'avocats fut constitué. Les influences
autour du dossier étaient nombreuses et parasitaires. On se rendit alors compte qu'il n'y avait pas un mais des entourages. De concentriques et plus ou moins étriqués cercles. Qu'un disgracié
pouvait tout à fait retrouver une place, en passant par untel plutôt que par tel autre. Que la famille n'est pas nécessairement la plus lucide des observatrices. Que les conseillers ont des
avocats et des journalistes favoris. Que, tels ceux du Point - capables de stupidement titrer que la Suisse gelait "d'éventuels avoirs de Laurent Gbagbo" -, nombreux étaient ceux qui fantasmaient
un trésor caché aussi merveilleux qu'hypothétique à se partager.
(Fondant par là, co-latéralement, l'accusation d'enrichissement personnel et donc de corruption régulièrement portée contre leur champion).
D'autorité, et dès fin avril 2011, selon nos informations, Me Vergès, qui était venu avec Roland Dumas sous le bras à Abidjan en pleine crise
post-électorale, prit les choses en main. Adieu Collard et quelques autres. Restaient en somme un pool d'avocats internationaux, constitué autour des deux Vieux (pas) sages Dumas et Vergès, avec
notamment Me Bourthoumieux et Me Ceccaldi ; des avocats ivoiriens, à même, en relation avec ceux-ci, de mener les démarches judiciaires et administratives dans un pays à la justice fantomatique ;
des avocats de membres de la famille de Laurent Gbagbo, intervenant hors du champ politique ; des avocats engagés individuellement par les nombreux emprisonnés du régime Ouattara.
En empêchant, début mai 2011, Bourthoumieux, Ceccaldi, Dumas et Vergès d'entrer en Côte d'Ivoire, le même régime les "constitua" de fait.
Aurait-on pris le risque d'autant écorner l'image du nouveau pouvoir si l'on n'avait pas tenu ceux-ci pour les conseils désignés par Laurent Gbagbo ?
En septembre de la même année, enfin, les quatre parviennent à rencontrer Gbagbo, (déjà) illégalement déporté (avec la complicité de l'ONUCI) au
Nord de la Côte d'Ivoire, à Khorogo. Dans une villa si confortable, si digne du rang de son occupant qu'on préfèrera la soustraire aux regards des avocats (et de Canal +) en déplaçant l'ancien
président jusqu'à une autre, vaguement plus présentable. Quelques images et photos filtrèrent alors. Peu de choses, en revanche, sur le contenu politique et judiciaire de l'entretien. Et moins
encore sur les conditions de cette détention.
On commençait alors dans la presse ivoirienne à évoquer aussi le nom d'un nouvel avocat du président Gbagbo, maître Emmanuel Altit. À propos
duquel le peu que nous savions inclinait à une relative méfiance : avoir officié (avec succès) dans le règlement de l'affaire dite des infirmières bulgares de Libye - sujette elle-même à moult
supputations -, et impliquant directement le président français d'alors, Nicolas Sarkozy. Autrement dit le principal allié de Ouattara et le bourreau militaire de Gbagbo. Il est de plus
rassurants pédigrées.
Certains disaient Me Altit mandaté par la deuxième épouse de Laurent Gbagbo, Nady Bamba. À juste titre inquiète des conditions d'incarcération,
elle pouvait "accepter", s'il le fallait, de voir Gbagbo vivre à La Haye plutôt que mourir à Khorogo. Une dimension humaine, fondamentale, se superposait à la dimension proprement politique de
l'inévitable futur procès.
Abidjan ou La Haye ?
Les Vergès refusaient par conviction et stratégie d'entériner, de "valider", d'accepter comme si elle s'imposait, au regard des délits, la Cour
pénale internationale pour théâtre du procès à venir. Maître Vergès avait déjà goûté au TPI, au moment du démantèlement de la Yougoslavie ; le caractère africanophile de sa cousine CPI
n'échappait à aucun de ses confrères.
Il fallait, selon eux, "obliger", pousser Ouattara et ses soutiens internationaux à tordre officiellement la légalité à nouveau, à assumer encore
davantage le coup de force perpétré, en prenant eux-même et aux yeux du monde la responsabilité d'envoyer Gbagbo à La Haye. Si procès à La Haye il devait y avoir, à charge pour eux ensuite d'en
faire le lieu d'un procès politique réellement international… car si ce n'était pas le procès politique de dimension internationale de l'ancienne puissance coloniale, alors les débats devaient
avoir lieu en Côte d'Ivoire.
Aucun des quatre maîtres ne s'inscrivit auprès de la CPI dans le dossier ivoirien. Manière de montrer que c'était en Côte d'Ivoire,
naturellement, que le président Gbagbo devait et allait être jugé. Parce que c'était devant le peuple ivoirien et sa Justice, que Laurent Gbagbo pouvait comparaître. Surtout que Ouattara, il le
répétait à chacun de ses quinzomadaires voyages en France, avait ramené l'ordre, la paix, la justice en Côte d'Ivoire. Et même la réconciliation quasiment.
Jacques Vergès, dans les années 1960, a conçu théoriquement deux types de stratégie judiciaire. Une, dite de connivence, implique de reconnaître
la juridiction et le tribunal. Et donc, quel qu'il soit, le verdict qui sera rendu.
L'autre, plus politique, dite de rupture, implique de contester la juridiction et le tribunal, de ne les reconnaître ni dans le fond ni dans la
forme, de multiplier les incidents de procédures, de changer le sens du procès, de le rendre absurde par son impossibilité, de jouer des médias et du scandale pour parvenir à porter les débats
devant le tribunal de l'opinion et obliger le politique à reprendre ses droits.
Et donc peut-être moins à défendre ou à légitimer Laurent Gbagbo, président en exercice légalement investi et objectivement victime d'une
rébellion et d'une intervention militaire extérieure, qu'à attaquer la puissance militaire qui était intervenue : la France.
Il ne s'agit pas ici d'évaluer les mérites et vertus comparés de ces deux options, mais de comprendre pourquoi fin octobre 2011, les encore
officiels avocats de Gbagbo ne semblaient pas décidés à se préparer pour la CPI. Et donc pourquoi, surpris comme le reste du monde par le transfert du président Gbagbo à La Haye, on ne les verra
ni ne les entendra plus une fois celui-ci déporté en Hollande. Hâtons-nous de préciser que nous ne disposons pas d'information particulière (en est-il réellement besoin ?) sur le déroulement des
faits. Observateurs, nous avons constaté qu'après le transfert, et avec l'assentiment de Laurent Gbagbo, son avocat devant la CPI, puisque telle était la juridiction qui allait s'appliquer, était
bien Me Altit.
Les choix avaient été faits. Ils devaient être respectés. Confiance à Altit puisque Gbagbo l'a souhaité.
La Haye. Premier et deuxième rounds
C'est un Gbagbo à peine reconnaissable que les Ivoiriens découvrent le 5 décembre 2011 à l'occasion de la première de toutes les audiences de
confirmation (ou infirmation) des charges retenues contre lui. Amaigri. Il confesse avoir été enfermé des mois durant dans le noir et l'ignorance de l'heure. Rhumatisant, il peine à se lever au
moment de prendre la parole. "Madame la Présidente…" Légaliste et courtois, toujours. D'un raccourci aussi génial que tragique, il résume le drame historique de la Côte d'Ivoire : "Je ne parle
que le Français, malheureusement." Conséquent et présent au rendez-vous de l'Histoire, il pointe les coupables : "C'est la France qui a fait le travail."
Houdin, Labertit, Bourgi, Koné Katinan et d'autres le disent : le meilleur avocat de Gbagbo, c'est Gbagbo ! Dommage que la Côte d'Ivoire n'ait
pas vu ça en direct. La RTI ayant "oublié", à chaque audience depuis le début et jusqu'à ce jour, de retransmettre ce procès qui intéresse pourtant chaque Ivoirien. Comment Ouattara peut-il
priver la Côte d'Ivoire d'un si salutaire exercice d'Histoire, de Justice et de Vérité ? Les Ivoiriens les plus chanceux et ceux des diasporas se débrouillèrent, entre le site de la CPI et les
réseaux sociaux. Plus tard, on vendra en douce à Abidjan des copies en dvd de cette audience préliminaire d'ores et déjà légendaire.
Comme la présidente de la Cour, la France restera sans voix suite à l'accusation de Gbagbo en décembre 2011. Juppé, déshonoré ministre des
Affaires étrangères français durant la crise, maugréera une réponse ironique et constipée sur TV5 : "Il se défend comme il peut." Personne ne risquait de le contredire : aucun Français non plus
n'avait pu voir ce procès. Qui les intéressait pourtant eux aussi au premier chef, on les en avait bien convaincus, entre décembre 2010 et avril 2011, période durant laquelle quotidiennement dans
leurs médias Gbagbo devint tour à tour l'avatar contemporain de Bokassa, le remplaçant de Mugabe, la version afro de Ben Laden. N'était-ce pas en leur nom que Nicolas Sarkozy et son général
Patton d'opérette Jean-Marc Simon étaient intervenus militairement en Côte d'Ivoire ? Il est vrai que dans les élites gauloises on peine depuis deux ans à ajouter la Côte d'Ivoire à la glorieuse
liste des interventions militaires récentes… le Mali est plus simple à justifier, au chapitre Bamboulie. Pour le moment.
2012. Enquêtes, militantisme, politique et diplomatie
S'il était encore tôt, fin 2011, pour évaluer l'impact sur la Cour elle-même de la première audience et de l'intervention de Gbagbo, il fut en
revanche considérable immédiatement dans les opinions publiques africaines. Là encore, les blogs, sites et réseaux sociaux en attestent sans contredit. Les Ivoiriens des diasporas en furent comme
galvanisés, qui décidèrent de retourner régulièrement en masse à La Haye.
Cela n'échappait évidemment pas au pouvoir ouattariste, de plus en plus hanté par les questions de communication - en particulier via les réseaux
sociaux sur lesquels un Soro passe le plus clair de son temps -, à mesure que s'accumulaient les innombrables bévues et bavures politico-médiatico-judiciaires.
Et les rappels à l'ordre de Paris - où le pouvoir politique a changé de couleur -, de plus en plus incommodé par les arrestations arbitraires,
les disparitions, les découvertes de charniers imputés aux supplétifs Dozos, les anciens ministres torturés et exposés comme dans les dictatures dépeintes par Costa Gavras, les responsables du
FPI ordinairement arrêtés. Si Hollande n'a pas changé radicalement la politique africaine de la France (et pourquoi le ferait-il ? qui l'y pousse ?), sa victoire en mai 2012 à la présidentielle
française aura au moins débarrassé l'horizon politique ivoirien de la figure traumatisante de Nicolas Sarkozy, meilleur soutien occidental de Ouattara (avoir orchestré de concert la dévaluation
en 1994 semblant les avoir liés au-delà du raisonnable).
Il devenait, parallèlement, de plus en plus difficile aussi de passer sous silence la situation des milliers de réfugiés, à l'intérieur comme à
l'extérieur du pays (Togo, Bénin, Ghana, Liberia…). Ces orphelins, ces veuves et ces veufs. Ces dépossédés de leurs terres et de leurs biens. Ces élites exilées. Tant sur le plan humanitaire que
sur le plan politique ou diplomatique. Car le FPi et la résistance ivoirienne ne chômèrent pas en 2012. Outre le travail militant quotidien, notons, par exemple, l'invitation de Laurent Akoun,
Secrétaire général du FPI, au centenaire de l'ANC en Afrique du Sud. Tout sauf anodin. Surtout si l'on n'omet pas de considérer que l'Union africaine est tombée dans l'escarcelle sud-africaine.
Des rencontres, des contacts établis sur le continent, mais aussi en Europe (et pas juste à Paris).
C'est d'ailleurs, en revenant d'Afrique du Sud que le Porte-parole du président Gbagbo, Justin Koné Katinan, sera arrêté au Ghana… Preuve
supplémentaire s'il en fallait du pouvoir prêté à Gbagbo par Ouattara : la nécessité de faire taire son porte-parole !
Côté CPI, les enquêtes succédèrent aux enquêtes. Me Altit se rendit en Côte d'Ivoire de même que le procureur de la CPI, le tristement célèbre
préposé à la traque aux Africains, l'Argentin Moreno Ocampo. Puis son adjointe l'énigmatique Gambienne Fatou Bensouda. Le Nouveau courrier et d'autres rendirent fidèlement compte des avancées de
ces enquêtes, nourrirent même le dossier de multiples révélations. La défense recueillit bien sûr directement de nombreux témoignages, sut sélectionner dans la presse les plus rigoureux,
consulter de nombreux observateurs, proches à des degrés divers des faits et protagonistes. Compulser la production livresque générée par la crise ivoirienne (largement dominée par les ouvrages
"pro-Gbagbo"). Analyser et judicieusement décrypter divers documents vidéo, prétendument accablants pour Gbagbo.
La Défense fit mieux que son travail. Les audiences l'ont amplement démontré. Qu'ils s'appellent Altit, Barouan, Naouri ou Jacob, celles et ceux
qui s'exprimèrent au nom du président Gbagbo à La Haye en février 2013, ont de l'avis général, sinon brillé, au moins mis à mal un procureur dont le dossier, symétriquement, apparut mal fagoté,
bricolé à la hâte et trop fragile pour ne pas laisser de nombreux doutes s'installer.
Une persistante et déplaisante impression d'insatisfaction
Balayons les objections : Altit a fait mieux et plus que convaincre. Il a méthodiquement, consciencieusement et logiquement mis en pièces
l'indigent dossier de l'accusation. Ocampo doit bien rire d'avoir laissé à "l'Africaine" Bensouda autant de documents suspects, de témoignages sujets à caution, quand ce n'étaient pas de purs et
simples faux ! Sans prétendre avoir scruté l'ensemble de la production médiatique mondiale, il semble évident que "quelque chose s'est passé". La figure de Laurent Gbagbo n'est plus éclairée de
la même aveuglante façon. Gêne, embarras et contrariété, chez les confrères occidentaux. (Ah, la si spécifiquement française incapacité de se dédire). Plus Ouattara s'assombrit médiatiquement,
plus la figure de Gbagbo se "mandela-ise". Ajoutez-y un opportun rapport d'Amnesty international, une admonestation de Human rights watch (qui a de quoi se sentir elle aussi coupable, il est
vrai)… Vous verrez que bientôt ils (se) rappelleront que c'est à Gbagbo que la Côte d'Ivoire doit la démocratie et le multipartisme ! Car le Ouattara "raisonnable" évoqué par Nicolas Demorand
dans Libération le 4 avril 2011 a vécu.
Le travail de contre-information de la défense, combiné à celui depuis 2011 des marcheurs, à travers le monde, des organisateurs de conférences,
des associations et des simples militants a, là encore fort opportunément, recoupé une tendance lourde dans certaines intelligentsia, en particulier française : le refus, au fond, de cette Cour
pénale internationale réservée au Nègres et sans respect pour les nations et leur souveraineté. Ainsi a-t-on pu lire une vigoureuse et convaincante tribune du journaliste de France
Télévision Frédéric Taddéi, s'interrogeant sur l'existence même de cette cour et prenant appui sur l'évident cas Gbagbo. De nombreuses contributions nourrirent utilement le débat. Nous continuons
de les relayer. Et toutes celles qui paraîtront, toujours plus nombreuses, n'en doutons pas. Il y a quelques jours, Me Altit n'a-t-il pas donné une très bonne interview à un média russe
francophone, La Voix de la Russie, que vous avez pu la lire dans ces colonnes ?
Et c'est précisément là que pour finir je souhaitais arriver : la défense a produit un remarquable travail à La Haye, le président Gbagbo y a
fait deux interventions qu'on n'a pas fini d'étudier, le camp Ouattara est ratatiné, son souteneur Sarkozy n'est plus au pouvoir, l'Union africaine et le Brics commencent à inquiéter sérieusement
l'impérialiste Occident… et pourtant.
Et pourtant, cette pénible impression que tout le monde s'en fout, que si on ne somme pas ce même monde de se pencher sur le cas ivoirien, "par
tous les moyens nécessaires", la CPI dira ce qu'elle veut. Bottera en touche, très certainement pour commencer. Demandera plus amples examens, pour tous les documents frelatés produits par elle.
On repartira pour six mois. Un an. Sachant qu'il suffit qu'une charge soit confirmée pour rendre le procès possible. D'appels en rejets, de préliminaires en huis-clos, ça nous renvoie à quand
encore ? À 2015 et à la prochaine élection présidentielle en Côte d'Ivoire ? Qu'attendre d'une Cour contestée par le monde entier et non reconnue par les trois plus grandes puissances ? D'une
Cour dont le nouveau président élu au Kenya se moque ouvertement, lui qu'elle avait condamné à l'occasion d'un précédent litige électoral et dont le second vient d'être blanchi ?
Laurent Gbagbo n'étant pas entré en prison par le droit mais par la force, comment se pourrait-il que celui-ci l'en sorte ?
Le faux document présenté par Fatou Bensouda, montrant un brûlé vif en fait photographié au Kenya, ne constitue-t-il pas une preuve de l'iniquité
du procès au point de pouvoir en demander l'annulation ?
Et mille autres questions, entre paradoxes, syllogismes et sophismes.
Posons que les Ivoiriens, et avec eux, les Africains et une grande partie des pays non alignés n'ont pas vu ces audiences préliminaires. Même
avec toute la bienveillance du continent pour son fils déporté en Batavie, ce qui n'a pas été vu ne sera pas commenté, ne créera pas de polémique politique nationale, ne nourrira pas les médias
locaux et leurs citoyens sur les réseaux sociaux, ne forcera pas les pouvoirs en place à reconsidérer leurs positions et alliances à l'aune d'un futur plus indéfinissable que jamais pour la Côte
d'Ivoire, poids lourd économique de la sous-région.
L'Afrique francophone est encore trop peu équipée pour que l'internet y remplace des télés nationales le plus souvent réduites au silence par les
pouvoirs alignés sur Paris.
Posons que les grandes nations, en particulier celles membres du Brics, commencent seulement à comprendre ce qui s'est passé en Côte d'Ivoire, à
la lumière des interventions en Libye, en Syrie ou au Mali. Et même si elles ne furent pas toutes d'une exemplaire solidarité avec Gbagbo, l'heure n'est pas au droit d'inventaire, mais à la
conjugaison et à la combinaison du plus d'influences politiques, médiatiques et diplomatiques possible. Sauter à pieds joints sur toutes les alliances contradictoires et contre-nature. Se boucher
le nez sciemment au moment de recevoir certains indispensables mais peu agréables soutiens. Jouer au mieux des rapports de forces nouveaux et mouvants nés de la crise occidentale.
Qui mieux que Me Altit peut faire ça ?
Nous sommes le 4 avril 2013. Fin mai, la CPI dira si elle confirme ou non les charges pesant contre le président Laurent Gbagbo. Il reste presque
deux mois à Me Altit pour sillonner l'Afrique, de capitale en capitale. Y organiser des conférences de presse. Y rencontrer le personnel politique idoine et approprié (qui pourrait même prendre
en charge ses frais de déplacement, ça s'est déjà vu). Y informer les opinions publiques. Et, pourquoi pas aussi se rendre en Russie, en Inde, au Brésil ou au Mexique ? Sans oublier de croiser,
ce doit être faisable, les responsables de l'Union africaine.
Il lui reste presque deux mois pour rappeler qu'en 1992, déjà au prix de la prison (et déjà aussi à cause de Ouattara), c'est Laurent Gbagbo qui
imposa le multipartisme et la démocratie en Côte d'Ivoire. Que dans les années 90, en Suède, on invitait ce même Gbagbo à venir "observer" le bon déroulement des élections. Que dans ces mêmes
années 90, ce n'est pas lui qui rouvrit la plaie ethnique avec l'ivoirité, mais bel et bien Konan Bédié (contre Ouattara). Qu'en 2000, il était le président élu, reconnu et investi et que dans
une perspective de réconciliation il avait alors opté pour un gouvernement d'union nationale, par-delà les clivages, appartenances et convictions. Qu'en 2002 il eut à déplorer une tentative de
coup d'État, oeuvre d'une rébellion liée à Ouattara, dirigée par Guillaume Soro, entraînée et soutenue par la France via le Burkina Faso de Blaise Compaoré. Que depuis 2002 aussi, les médias
français, principale et malheureusement intarissable source internationale, ont entrepris de démolir son image avec une constance qui n'a d'égal que le raffinement. Qu'en 2004, intoxiqués par les
services français, son armée a cru pouvoir déloger les rebelles qui avaient pris le contrôle de 60% du territoire et de ses richesses. Qu'il s'ensuivit des troubles graves durant lesquels l'armée
française tua, tenta de prendre le Palais présidentiel en prétendant s'être trompé de chemin. Qu'en cette occasion, comme en tant d'autres, la France mentit sans honte et censura plusieurs
médias. Que c'est lui qui, au nom de la fragile démocratie ivoirienne et toujours dans une perspective de réconciliation, nomma Premier ministre son ennemi le plus déclaré, Guillaume Soro. Que
les rebelles n'ont jamais été désarmés. Que l'ONU ne les y a jamais forcés. Que les conditions n'étaient pas réunies pour un scrutin présidentiel dans un pays divisé. Qu'à peine le litige
électoral déclaré, Gbagbo n'a jamais dit rien d'autre que : recomptons. Qu'il n'avait rien fait d'autre que défendre la souveraineté, les frontières et le peuple de Côte d'Ivoire. Que vingt ans
après avoir conquis de haute lutte le multipartisme, il s'était mis en tête, contre la France, de faire respecter la constitution ivoirienne.
"On ira jusqu'au bout".
À l'heure où, sur France 24, un responsable de Human rights watch, en direct depuis Abidjan, dénonce le régime, ses pratiques et met en cause
l'unilatérale CPI, le plus fort, ce serait que Me Altit annonce qu'il achèvera sa tournée africaine d'information à Abidjan. Évidemment ! Au pire, Ouattara l'en empêche et le scandale est
international. Au mieux, Me Altit aura devant lui bien plus de caméras, d'objectifs et de micros que n'en compte la seule presse bleue.
Photos - dr Texte - Grégory Protche
Bonus : la version audio-vidéo