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Le Gri-Gri International

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Steven, Spike et Clint ont vieilli, mais Romain Gavras, le monde est à lui / Jérôme Reijasse se lève de son canapé

Publié par Jérôme Reijasse Gri-Gri International sur 9 Septembre 2018, 12:12pm

Catégories : #Jérôme Reijasse 7 jours loin du monde

Le monde est à toi de Romain Gavras par Jérôme Reijasse Le Gri-Gri International

 

Des fois, Jérôme Reijasse pose le livre qu'il regardait en lisant la télé. Alors soit il emmène son fils au Parc des Princes, soit il se laisse entraîner au cinéma.

 

L’été, soit tu as de l’argent et tu vas loin, soit tu ne bouges pas et tu regardes des films (ou tu écoutes en boucles À l’Ammoniaque, de PNL, comme hypnotisé par cette chanson qui ne fait pas de prisonnier)… À la télé ou au cinéma, de préférence avant midi, afin de payer moins cher et d’être assuré de t’asseoir dans une salle quasiment vide. Toujours ça de pris.

 

J’ai vu trois films cette semaine. Deux productions yankee et une hexagonale.

 

Tout d’abord, Spielberg et son Ready Player One.

 

Je voulais absolument le voir. Parce que l’affiche avait ravivé en moi des souvenirs précieux, cette époque où le cinéma représentait, au coeur de ma province mortifère, la seule évasion valable, quand la lumière disparaissait et qu’un autre monde s’incarnait, rien que pour moi. Et puis, quelques amis m’avaient vanté cette saga virtuelle, bourrée de références pop. Ce film est immonde, laid, vide, idiot, moraliste, presque insoutenable. 130 minutes peintes à la truelle, un musée de cire qu’il n’aurait pas fallu visiter. Trop tard. Paco, un ami qui me veut pourtant du bien, appuie sur ok, débit 4,99€ et ça commence.

 

La toute première scène est plutôt cool. Une ville futuriste, sorte de camping à la verticale, où des milliers d’habitations précaires s’entassent. Là, des Américains de demain galèrent comme il faut et s’évadent dans l’Oasis, programme de réalité virtuelle où ils peuvent fantasmer une nouvelle vie à coups d’avatars, à défaut de pouvoir construire quelque chose dans la réalité. Première horreur: le film débute sur le Jump de Van Halen… Steven n’a probablement jamais fréquenté le vélodrome, on ne peut lui en tenir rigueur… Et puis, très vite, on plonge dans cet univers parallèle de tous les possibles et où rien n’est émouvant, vivant, sensible. Ça va vite, les clins d’oeil au passé défilent comme les produits à une caisse de supermarché, scannés par une employée sans illusion : Retour vers le Futur, Shining, Le Géant de Fer, Akira, n’en jetez plus! Ce n’est plus un trip mais bel et bien une overdose. Spielberg n’est plus un magicien mais un soldeur, un marchand d’un temple qui mériterait de s’écrouler, là, sous mes yeux déjà lassés. Le réalisateur américain ne se contente pas de rendre hommage, de raviver des émotions éternelles, non, il brade, un acheté un offert, il gave le spectateur, comme s’il savait qu’il ne lui restait que quelques jours à vivre. Foie gras hollywoodien dégueulasse, au scénario probablement écrit par un geek obèse. Nostalgie cannibale. Tout ça pour, au final, se prendre dans la tronche une morale débile. En gros : Hé, les gens: Les jeux vidéo, le virtuel, c’est cool mais ne devrions-nous pas aussi accorder un tantinet d’attention au réel, pour nous aimer, nous connaître, pour partager, physiquement, concrètement ? Hahahahaha. La blague géante, le foutage de gueule décomplexé. Spielberg demande aux Hommes d’oublier quelques instants (la révolution molle ou le consensus hardcore, au choix), leurs écrans noirs, leurs tweets lâches, leurs fessebouc de merde et de plonger dans la chair et l’âme. Baltringue. Les acteurs sont moches, insipides, les rebondissements stériles, la musique, un juke-box paresseux et prévisible. Ce n’est pas une madeleine vortex mais un cookie monstrueux, moisi. La gerbe et l’ennui.

 

J’aime Spike Lee depuis toujours. Je ne sais même pas vraiment pourquoi. Do the right thing m’avait vrillé le cerveau, au siècle dernier. Depuis, je l’ai suivi, fidèlement. Et même quand le réalisateur foirait le casting, il y avait toujours quelque chose à prendre dans ses films viscéraux. BlacKkKlansman avait excité les bobos à Cannes. Le pitch était franchement prometteur : un flic noir infiltre le KKK. Inspiré d’un putain de fait réel comme le proclame l’introduction de ce polar fatigué et fatiguant. Un ami belge, il y a longtemps, parlait avec une ironie délicieuse de films à perruques. Comprendre : un film se proposant de reconstituer une époque révolue et ne parvenant pas, jamais, à faire oublier les loueurs de voitures et de costumes vintage. Mesrine, en France, en était un parfait exemple. Spike Lee n’a pas oublié qu’il était noir et américain. Voilà le problème. Son film n’est pas universel, juste ricain. C’est une charge anti Trump. À maintes reprises, Lee fait un parallèle entre l’Amérique des années 70 et son racisme institutionnalisé et celle d’aujourd’hui. Rien n’a changé selon lui. Il a raison. Il termine cette histoire avec des images d’actualité, on voit des néo nazis défiler, on voit cette voiture qui écrase des manifestants antiracistes, provoquant la mort d’une militante. On pense direct à Clint Eastwood et son film sur ce sniper de l’armée US. Spike et Clint ont vieilli. Ils sont déçus, ils sont tristes, ils voient leur pays se battre contre les mêmes démons fondateurs. Et ils ont du mal à gérer ce sentiment d’impuissance total. La peur, la rage et la frustration ne suffisent pas à pondre un bon film. Ici, tout est déjà écrit. Les encagoulés sont bas du front et brûlent des croix, les Noirs victimes et baisés d’avance. Et puis ? Rien, absolument rien. Quelques vannes parviennent parfois à détourner la lourdeur du propos, Adam Driver et John David Washington (oui, le fils de) sont plutôt convaincants mais rien n’y fait, on baille et on regarde sa montre. Les gens sont racistes, blancs, juifs, noirs. Le ghetto. Les ghettos. Pour le meilleur et surtout le pire. La France devrait rire de ce film naïf, qui, à la fin, prône l’amour, l’union. Mais la France ressemble de plus en plus à un état américain, avec ses Starbuck, ses Uber, son libéralisme rampant, ses débats identitaires, communautaires, son puritanisme déguisé en gay pride. C’est un film qui va rassurer les bien-pensants, faire chialer les mondialistes et irriter les haineux. Bref, un coup d’épée dans l’eau. 

 

Et puis, il y a une petite merveille que je n’attendais pas vraiment. Le monde est à Toi, du fiston Gavras. Grand faiseur d’images mais moins à l’aise avec le fond. Heureusement, le jeune réalisateur français sait s’entourer. Je le jure devant la statue de Javier Pastore : je n’ai pas aimé ce film parce que Karim Boukercha, mon ami, a grandement participé à son écriture ! Et puis, je suis actuellement trop déprimé pour trouver des excuses, même à ceux que j’aime. Karim m’avait raconté cette histoire surréaliste d’un petit gars castré par sa maman et qui rêve d’obtenir le marché du Mister Freeze au Maghreb. Un môme adulte qui va devoir enlacer l’illégalité presque à contre-coeur pour s’acheter une vie normale. C’est dans un cinéma lyonnais que je vais voir la chose. La première scène, dans une fourrière animale, donne direct le ton de ce film qu’on pourrait qualifier d’unique. Un acteur, arabe ou gitan ou les deux, au jeu vertigineux, braque cette fourrière pour récupérer son chien. Amour et violence, débilité et romantisme, tout est déjà là, tangible. C’est excitant et ça n’a même pas vraiment commencé. Et puis apparaît Karim Leklou. François dans le film je crois. Sans rien dire, il est touchant, drôle, profond, mystérieux, rigolo, séduisant et pathétique, il est parfait ! Adjani ressuscite en direct, en daronne vénale, Cassel, en faux beau père vrai truand de seconde zone, matant en boucles des vidéos sur les Illuminati, est impeccable. Il a accepté de s’enlaidir, de jouer, un peu, le rôle du couillon, il dégage une poésie formidable. Oulya Amamra, elle, flirte encore avec l’excellence, elle réveille les coeurs et les bites. Divine. Et c’est le plus beau compliment que je pouvais lui faire. Elle efface toutes les actrices françaises, toutes ces petites allumeuses sans vie, elle illumine ce périple espagnol et déjanté : méchante et belle, vicieuse et aimante, solitaire et forte, il n’y avait qu’elle capable de donner tout ça ! Il y a encore Philippe Katerine en avocat polyglotte et aérien, cette incroyable gamine écossaise grassouillette, fille d’un dealer, Gabby Rose, qui, en quelques scènes, parvient à déclencher chez celui qui regarde larmes et fous rires. Et c’est absolument prenant. Le Monde est à Toi ne mérite aucune comparaison. Il se suffit à lui-même. Il montre la voie à suivre. Celle d’un cinéma français fier, insoumis, égoïste, qui se moque bien des avis extérieurs. Et puis, la musique… Sardou, Voulzy, Toto. Écrit comme ça, ça peut effrayer. Mais non. Ce sont exactement les chansons qu’il fallait à cette aventure hors norme. Chef d’oeuvre ? On s’en branle. Indélébile. Sans le moindre doute. 

 

 

Texte - Jérôme Reijasse (initialement paru sur sa page Facebook)

 

PS : Quelques-unes des trop rares interventions médiatiques de Jérôme Reijasse et plusieurs de ses textes lus par Grégory Protche ci-dessous.

 

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