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Le Gri-Gri International

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Grégory Protche & Karim Boukercha - Il se prénommait Anthony (Tant pis pour vous)

Publié par Gri-Gri International sur 2 Mars 2024, 16:45pm

Catégories : #Tant pis pour vous, #Hommage, #Tristesse

Grégory Protche & Karim Boukercha - Il se prénommait Anthony (Tant pis pour vous)

 

Ce 1er mars 2024, les membres de Tant pis pour vous (qui sévit de 2004 à 2006) ont appris le décès d'Anthony, vendeur du journal à la criée.
Ci-dessous, quelques mots écrits à chaud. Puis une version audio de l'article que Karim Boukercha avait consacré à « Tony » dans Tant pis pour vous n°2.

 

 

Je ne suis plus assez sûr de l'orthographe de son nom pour m'hasarder.

Pour nous, comme le dit Karim, c'était « Tony ».

Comment l'avions-nous rencontré ? Ma foi. Sûrement un coup du flair à Boukercha, infaillible à l'époque pour repérer ceux que nous appelions avec tendresse « les mecs qui montent ».

Tony survivait dieu sait où dans le 93 en vendant des journaux à la criée. Nous faisions un journal qui avait du mal à trouver sa place en kiosques. Tony a commencé à vendre le nôtre, le bien nommé Tant pis pour vous. Et ça marchait pas mal. Surtout bien sûr lorsqu'il faisait beau et qu'en terrasse ou en manif les gens se laissaient baratiner plus facilement. Mais un wagon de RER lui faisait pas peur.

Heureusement qu’on n’était pas éditeurs, Karim et moi, on y aurait décelé un modèle économique avantageux. D’autant qu’assez vite Tony a trouvé d’autres vendeurs et vendeuses (Ornella, diabolique Congolaise, qui filait un faux numéro de portable aux messieurs qui conditionnaient l’achat du canard…). La distribution en kiosques nous coûtait plus de 40 % du prix de vente (3,50€). Autant les filer à un colporteur. Pourquoi n’avons-nous pas eu l’audace de limiter notre distribution officielle à la province pour ne vendre sur Paris et l’Île-de-France qu’à la criée ? En sus de n’être pas les Alain Ayache du ghetto, on n’était pas non plus entrepreneurs.

Avec la franchise qu’ont seuls les vrais grands brûlés, Tony nous avait prévenus. Mieux valait qu’entre sa fin de journée de vendeur et notre point de rendez-vous pour récupérer les sous il n’y ait pas trop de bars. Son côté George Best.

Le plus souvent, on le retrouvait chez Saïd, à l’angle de ma rue du Faubourg-Saint-Denis et de la rue Lafayette. Souvent aussi, il avait déjà claqué une partie de ses gains et des nôtres aux courses et en coups à boire. Me semble que son kérosène à lui, c’était le blanc de bistrot. Aucun de nous d’eux n’aurait eu le cœur à l’engueuler. On trouvait même qu’il nous correspondait, qu’il servait l’image du journal. Les fois où il avait vraiment abusé, il faisait l’Yves Montand de César et Rosalie. Sans doute par estime, nous aimions à le croire, il se mettait en veine non pas d’un pipeau alambiqué mais de propositions de développement pour le journal ! Magnifique, il était magnifique dans ces instants-là. Irréel, féérique et enthousiasmant. S’il n’avait pas déjà claqué nos sous on les lui aurait donnés direct ! Ce charme désabusé et canaille. Un jour, il nous a dit : « Je vous trouve vraiment bons. Vous êtes doués. Vous avez de l’or dans les mains. Mais vous ne savez pas vous y prendre ! Il ne faut pas avoir peur de se mettre dans une niche : Pittbull magazine ! C’est ça que vous devriez lancer : Pittbull magazine les mecs ! Je l’ai proposé à Choron, il trouvait ça génial comme idée ! » Et nous donc.

Au numéro 6 de Tant pis pour vous, on a arrêté. Le deuxième imprimeur était sur le point de contacter le troisième. Restait idéalement un numéro à faire. La couv’ était conçue : Lova Moor dépressive en photo et écrit dessus : À quoi bon être une femme ?

On hésitait vaguement entre deux principes : soit ne faire écrire que des femmes, soit ne faire écrire que des hommes.

On a perdu de vue Tony.

2008-2009, on se retrouve avec Sear / Get Busy. Au détour d’une conversation, j’évoque un Tony vendeur de Tant pis pour vous qui prétendait l’avoir connu en fin d’adolescence. Dans le mille !

Facebook, qui nous arrive dans cette séquence, m’amène un jour un « Angus Chopin ». Il like beaucoup mes conneries, celles de Jérôme Reijasse et celles de Sear. Il m’a envoyé un message en 2014. « Salut mec ». J’ai du avoir peur qu’il me relance sur Pittbull magazine. J’ai pas répondu. Il n’en a pas pris ombrage. Et continué de liker.

Il y a deux ou trois ans, à Montreuil, a débarqué un gérant de bistrot nommé « Saïd » (jusque-là à KabyleLand, rien de très original). On a fini par se tomber dessus. On s’est souvenu ensemble de la Gare du Nord. De Tony aussi.

Je lis ce soir sur Facebook, juste avant le désespérant Monaco – PSG (Tony était pour PSG), ce post de Jérôme :

« Je viens d’apprendre le décès d’un ami virtuel de FB. Un mec qui riait à mes blagues débiles souvent, qui se moquait de son cancer avec un courage hallucinant pour un hypocondriaque comme moi et dont je ne connais même pas le visage. Repose en paix Anthony. »

Tony adorait les articles de Jérôme dans Tant pis pour vous.

Il n’avait pas jugé utile en se présentant à lui sur Facebook de signaler à Jérôme qui il était.

C’était pas un héros, Tony. Pas non plus un mec dans la foule. C’était quelqu’un.

 

Grégory Protche

 

 

 

 

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