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L’affaire K.A
En lisant La légende de l’assassin, le dernier roman de Kangni Alem, j’ai beaucoup pensé à Truman Capote. L’auteur génial de De sang froid qui voulait démentir la phrase de Fitzgerald selon laquelle il n’y a pas de deuxième acte dans la vie d’un écrivain américain et qui a écrit le chef-d’œuvre que nous connaissons pour illustrer sa théorie du "roman documentaire".
Les deux livres sont bâtis autour d’un fait divers. Normalement quelque chose qui relève du compte rendu ou tout au plus d’un reportage. Comme Capote, Kangni en a fait une œuvre d’art.
Mais là où Capote, suivant l’exemple de Flaubert, a écrit un livre objectif et impersonnel, Kangni a écrit un conte personnel et fantastique.
Me Appolinaire est commis d’office pour défendre K.A « le criminel le plus honni, le plus médiatisé de Tibrava. La seule évocation de son nom continuait à glacer les sens des gamins dans les maisons. K.A., le croquemitaine. K.A., le psychopathe. K.A., le coupeur de têtes. K.A, le mal absolu. »
Pendant que l’avocat préparait la défense « improbable » de son « indéfendable client » condamné « par avance par un peuple », il reçoit un message énigmatique d’un mystérieux pasteur : « L’homme que vous allez défendre n’est pas un criminel mais la victime d’un immense enjeu satanique. Un jeu diabolique. »
Trente quatre ans plus tard, l’avocat commis d’office éprouve des remords. « Le dossier numéro 3 était mon chemin de Damas. Même si j’avais rendu le tablier, plusieurs interrogations subsistaient, que j’avais envie d’éprouver. Et pour cela, il fallait que je rencontre l’homme que j’aurais du rencontrer tout au début de cette histoire si seulement j’avais accordé quelque importance à tout cela. »
J’avais été déçu par Esclaves, le précédent livre de Kangni Alem. Mon peu de connaissances de l’histoire de la Côte des esclaves aux temps bénis de la traite clandestine ne m’a pas permis de faire la part entre la vérité de l’auteur et celui de l’évènement historique. La légende de l’assassin me donne l’occasion de prendre ma revanche. J’ai l’impression de voir l’œuvre se faire, d’être à côté de l’artiste au moment du croquis, du crayonné !
C’est sacrément jouissif de reconnaître les motifs à partir desquels l’auteur compose ses personnages ! Ainsi le personnage d’Appolinaire qui fait penser à Me Yaovi Agboyibor semble tenir très peu finalement de l’avocat commis d’office pour défendre il y a quelques décennies Adjata Koffi alias K.A. Et si c’était l’auteur lui-même qui savourait les prouesses du pasteur Gail Hightower les soirs où il ne dormait pas, « affalé devant la télé avec une de [ses] maîtresses rotatives » : « Il prenait un film produit dans les studios de Nollywood, Nigeria, un soap opéra à la morale efficace comme un rasoir et commentait les images librement. Du grand art. Les images qui défilaient n’étaient point contrepoints à ses paroles. Lui évoluait dans le dixième degré, quand les personnages du film se démenaient encore dans une pitoyable troisième dimension. D’ailleurs, ils étaient renommés par ses soins, avec une liberté frisant la figure de style. Il les renommait d’après des prénoms connus à Tibrava de la moyenne des téléspectateurs, des prénoms de certains ministres ou députés, de quelques généraux en disgrâce et de pétasses en vue de la République. L’effet ? Brouillage total de la réalité, qui était alors transfigurée. »
En matière de brouillage total de la réalité, il faut dire que Kangni Alem en connait un petit bout lui aussi. Ses deux personnages, l’avocat Appolinaire ainsi que le politicien et chef de village Yao Gladja ne forment-ils pas dans la vraie vie les deux pôles d’un même personnage complexe du Togo…pardon de TiBrava ? Et que dire du pasteur Gail Hightower ! Un pur compromis entre les pasteurs williams Tétèh et Adjaho !
Avec ce roman, c’est certain, Kangni Alem est en train d’écrire un éclatant deuxième acte de sa vie d’écrivain connu et reconnu.
Texte / Gnim Atakpama
La légende de l’assassin, Kangni Alem, Editions JC Lattès.
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