Une exégèse des lieux communs médiatiques (et donc religieux) reste à composer, qui attend son Léon Bloy. D'ici là, attardons-nous sur le dernier film à très grand succès produit par le cinéma français, le nouveau Bienvenue chez les intouchables chtis :
Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?
Disons-le d'emblée : le film est "bon". De bonne facture, comme on écrivait jadis. D'une efficacité roublarde aussi dégueulasse que belle à regarder. Un vrai film de scénariste, très convenablement mis en scène. Une suite d'arcs ouverts et correctement fermés ceinture une histoire qui ne tient que par sa thèse, qui se confond en l'occurrence avec son pitch - nous sommes tous racistes, donc nous pouvons tous cesser de l'être -, qu'agrémentent et illustrent des comédiens qui doivent tous autant à leur appartenance - un des enjeux du film, il est vrai - qu'à leur composition.
Chaque coup de théâtre ("Car vous ne m'empêcherez pas d'appeler cela du théâtre" Sacha Guitry), chaque personnage, chaque issue, tout ce qui arrive est dûment motivé, introduit et mené à son terme. Le rythme l'emporte, heureusement, sur la psychologie. Des gros mots, mais pas de cul. De quoi faire rire grands et petits. Christian Clavier est redoutable. Épais, dense et subtil. (Il était déjà le seul à surnager dans le fiasco des Bronzés 3). Il est mûr pour un grand monologue tragique sur scène. Ou pour Shakespeasre.
Grand bourgeois de province, catholique et gaulliste. Il a quatre filles. Toutes mignonnes.
Une est avec un Juif tocard en affaires et toujours en quête de fric. Renversement un peu balourd, certes, aisément assimilable à l'antisémitisme par amalgame, ce bijou rhétorique cher à l'ancien président français Nicolas Sarkozy.
Une est avec un Arabe avocat, capable comme Sear / Get Busy de parler des deux côtés du périphérique aux deux côtés du périphériques. Le contre-cliché comme contre-culture.
La troisième est avec un Asiatique, qui voit dans ses beaux-frères arabe et juif deux sémites pénibles. Il fait quand même un peu de kung-fu, et couche le Juif, qui prétendait faire du Krav-maga, d'un revers de la main.
On comprend que le couple Clavier-Lauby en a chié, qu'on les regarde en riant à la messe dans leur pécorerie cossue. Les quatre files du docteur Benetton.
La dernière, osant pas avouer l'africanité de son jules à ses parents, feint d'avoir honte qu'il ne soit que comédien (il joue Feydeau) ; et emporte leur adhésion en insistant sur sa plus grande qualité : il est catholique. Grâce aux stéréotypes, nul besoin de réalisme ou de simple représentativité. Défaut de la cuirasse : les "gens" qui vont au cinéma risquent d'être bientôt les seuls à croire qu'il n'existerait de catholiques en France que racialistes, bas du front et vieux jeu.
Air du temps ? Noom Diawara, "Charles Kofi" dans le film, a un père aussi "raciste" que celui de la petite dernière cathocul encore célib'. Singulièrement ingrat avec l'ancien colonisateur, le papa Kofi veut faire casquer la future cérémonie par les Blancs et tient à ce que soient invités les cinq cent parents qu'il a à travers le monde !
Les Blancs, mieux, les Français (il est Ivoirien, hein), il se défie d'eux avec les yeux d'un homme qui ne veut plus revivre ce qu'endura son père. À la Raimu, il vitupère leurs mensonges et leur racisme - responsable du sien. Auxquels il oppose une rigidité surjouée, façon "Amos and Andy", dont il sera toujours temps, plus loin dans le film, de se mettre à rire lorsque les malaises, quiproquos et malentendus (les arcs) commenceront de se dissiper.
C'est beau à pleurer : l'Africain anti-Français des années 2010 est Ivoirien !
Quelle réussite médiatique et politique.
Les dames (mention particulière à l'explosive et ravissante Tatiana Rojo) vont heureusement tout prendre en main. S'apprendre. Se comprendre. Entreprendre.
Et se mettre d'accord sur l'essentiel : le mariage.
Morceau de bravoure - attendu et exact au rendez-vous grâce, aussi, à la faconde des deux acteurs -, l'ultime rebond scénaristique indispensable : la confrontation. Des deux égo comparables et comparablement mal lunés, des deux antagonismes postcoloniaux, des deux patères bougons pas ravis spontanément par la perspective du métissage, des héritages à embrouiller, des races à compliquer.
Tout se dénoue autour d'un repas aussi gastronomique que pantagruélique et arrosé - la légendaire et pathologique francophilie ivoirienne tiendrait-elle dans un verre à liqueur ? Pascal N'Zonzi, le père Kofi, vraiment très drôle, finit par se décoincer, se dérider, se décider. N'est-il pas, lui aussi et au fond, un brave homme souhaitant le meilleur pour ses enfants, un catho soucieux du qu'en dira-t-on, un type à l'ancienne, à cheval, au moins verbalement, sur les valeurs, les traditions ?
Ce vieux père ivoirien, le plus logiquement du monde, est tout simplement vieille France.
Comme Clavier.
J'allais dire comme Gbagbo !
Creusant le sillon rassurant des craintes et angoisses nationales communes, le dialogue se décline sur le thème de l'immigration-invasion. Le Français prend l'Ivoirien à témoin : vous en avez, vous aussi, des immigrés, vous me comprenez. Le vieux nègre opine et égrène… les Libanais, les Chinois… pensez s'il comprend son homologue ! Clavier s'enhardit et risque :
- Mais les vôtres ne sont pas noirs !
- Non, c'est vrai.
La salle autour de moi éclate violemment de rire.
Bah si… justement !
Et en Côte d'Ivoire, justement, plus que nulle part ailleurs ! Où l'immigration - 35 à 45 % de la population, selon les sources - est très majoritairement ouest-africaine : burkinabée, malienne, guinéenne, sénégalaise, nigerianne ou libérienne. Et donc incontestablement noire.
L'immigration est même, justement, depuis vingt ans, en période électorale et sur la question de la propriété foncière, une des causes fondamentales des crises chaque fois plus violentes qui dévastent ce pays.
Dommage, à un bon mot près, le film était presque parfait.
Photo - dr Texte - Grégory Protche