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Le Gri-Gri International

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(#PSG) We walk alone : le hooliganisme, c'était mieux avant - Jérôme Reijasse / 7 Jours loin du monde

Publié par Gri-Gri International Jérôme Reijasse sur 18 Avril 2014, 02:00am

Catégories : #Jérôme Reijasse 7 jours loin du monde

Parc-Jerome-Reijasse.jpg  

Jérôme Reijasse avait dit qu'il ne s'abonnerait plus au Parc des Princes maintenant que les ultras y étaient bannis...

 

-     Un flic vient de me dire que c'étaient des hooligans anglais qui venaient de se taper avec des hooligans parisiens. Il y a eu de la casse d'après lui...

-     Tu vois, c'est ça le problème avec le football. C'est toujours la même chose. Des gros crétins qui se croient tout permis.

-     Bon, faut que j'y retourne. Je suis en plein inventaire. On s'appelle pour ce week-end...

 

 L'homme écrase sa cigarette avec précipitation et se jette dans l'escalator pour rejoindre la Fnac des Halles, son petit gilet de petit commerçant bientôt au chômage dissimulant mal ses bourrelets d'homme gavé de culture. Je regarde maintenant son interlocuteur, qui allume une deuxième cigarette, le regard presque inquiet, alors que les gyrophares policiers déchirent l'après-midi consumériste en pays Hidalgo. J'ai un peu honte mais je m'ordonne intérieurement de le dévisager jusqu'à ce qu'il réagisse. Qu'il accepte la confrontation. Il sait que je suis là et préfère jouer la carte de l'apnée, quitte à imploser. Je me lance, l'heure défilant et le Parc m'attendant pour un PSG-Chelsea en Ligue des Champions.

 

-     J'ai entendu votre conversation sur le football à l'instant. C'était quand même plutôt couillon, non ?

-     Parce que vous validez tout ce bordel ? Que des gens cassent, frappent, effrayent comme ça, pour rien, vous trouvez ça normal ?

-     Je ne dis pas ça. Je pense simplement que cette ambiance électrique m'avait manqué. Tellement manqué.

-     Je ne comprends pas.

-     Et vous ne comprendrez jamais. Bonne fin de journée Monsieur.

      

 

 Il ne répond pas et je laisse mon dos lui faire un dernier salut muet. Je rejoins la station de métro Étienne Marcel. Là, au minimum 200 hooligans anglais qui chantent, boivent, menacent des yeux, rient, hurlent. Les Parisiens écarquillent, la peur est ici réactivée, c'est indéniable. Des sauvages étrangers, fiers et inébranlables défilent, la tête haute, le sang chargé, le torse bombé. Et les Français soumis, faibles, lâches, corrompus, perdus, constatent et ne bronchent pas. La peur, oui. J'entends, à une terrasse de café, située à quelques mètres des marches du métro, des jeunes qui ont la rage et qui multiplient les menaces à l'encontre des Britanniques mais en mode sourdine. Il y en a même un qui ferme son blouson, le froid printanier peut-être, ou alors la crainte que les couleurs de son club de coeur, le PSG, n'attirent trop l'attention des citoyens de sa Majesté. Impasse Jean Moulin.

 Je décide de récupérer la ligne 9 pour foncer à Porte de Saint Cloud. Je sais que mon petit voyage se fera en compagnie de ces hordes anglophones. L'idée me ravit. Elle me transporte. L'agent RATP n'avait peut-être jamais vu ça : des centaines de crânes plus ou moins rasés, des jeunes très jeunes comme des cinquantenaires très musclés sautent par dessus les portiques, bière en main, sans renverser la moindre goutte. Ça braille, ça chambre, ça ricane, ça colle des stickers pro Chelsea un peu partout, c'est très bon enfant et visuellement irréprochable. Une soudaine nostalgie m'envahit véritablement. Je dois m'asseoir. Un vertige de l'avant, qui m'interdit d'aller plus loin. Quelques secondes sépia qui me marquent au fer rouge. Là, en quelques secondes, je me rappelle que l'excès dans les stades a toujours été plus beau, plus bandant, plus romantique que toute tentative de normalisation, de pacification. Je deviens jaloux de ces hommes qui honorent la bêtise et la fraternité, qui engrangent des souvenirs indestructibles pendant que moi, je me contente d'être le témoin d'un monde qui me dégoûte, me pousse à l'isolement, chaque jour un peu plus. Nous ne partagerons plus rien. Mes amis sont morts, ont vieilli, ont validé ma médiocrité. Ils ne sont plus que des ombres lointaines, des fantômes de passage. Là, dans un wagon bondé, je regarde la vie dans toute sa force. Sa beauté, oui. Ils vivent, ils échangent, ils communient. J'aperçois des Anglais qui mettent des petites gifles à des supporteurs parisiens incrédules (des supporteurs récents, avec des maillots du Qatar, sans berceau ni rien). Pas méchant. Un jeu de récréation, comme remonté des Enfers de l'enfance. J'écoute surtout leurs conversations, elles débordent de passion, elles se projettent, elles brûlent, elles irradient. À mes côtés, un jeune homme blond, à l'imperméable très mods et à l'accent impossible. Il me fixe et déclenche une discussion.

 

-     Tu es parisien ?

-     Oui, je supporte le PSG. Enfin, je supportais parce que maintenant...

-     Ca fait combien de temps que tu vas au stade ?

-     Presque vingt ans. Mais ce n'est plus comme avant...

-     Ouais, je sais. Ils ont viré les hooligans et les ultras des tribunes.

-     Oui, c'est ça, vous me semblez bien renseigné...

-     Faudrait gazer tous les riches, toutes ces salopes qui nous empêchent d'être libres...

-     Gazer (j'ai peur de ne pas avoir compris, son accent étant vraiment impossible)?

-     Ouais, gazer, exterminer quoi, éradiquer tous ces connards qui font ce qu'ils veulent parce qu'ils ont tout le pognon.

-     C'est trop tard. Vraiment trop tard. La passion est baisée. J'ai écrit un livre là-dessus.

-     Ah bon ? Il est trouvable en anglais ?

-     Bien sûr que non.

-     Tu connais John King ?

-     Évidemment. J'ai lu tous ses livres. C'est un très bon écrivain.

-     Ouais, ouais.

 

 Il se retourne vers un pote, debout, sorte de géant rouquin juste effrayant, et lui dit que je connais King. L'autre me regarde, me tend la main et me dit: “Pas mal pour un connard de Français.” Je souris.

 

-     Ce soir, tu penses quoi ?

-     Que vous avez l'expérience et nous le recrutement qu'il faut.

-     Hazard à lui tout seul va vous enfoncer.

-     Peut-être. Peut-être. Ce que je sais, ce que quoi qu'il arrive, vous gagnerez. Même si le tableau de score affirme le contraire. Parce que vous êtes vivants, vous êtes ensemble, vous avez une histoire et un avenir.

 

 Il se met à rire, franchement. Il passe une main dans ses cheveux et se lève.

 

-     Bonne soirée mec. Bon match.

 

 Les portes s'ouvrent et il fonce vers les escaliers avec tous ses amis. Des policiers hexagonaux noircissent les couloirs. Dehors, personne ne provoque personne. Chelsea se contente de chanter et de terminer ses bières. Juste avant les entrées du Parc, quelques racailles cherchent pourtant l'affrontement mais, j'en suis intimement persuadé, sont ravies que des CRS les en empêchent. La bagarre aurait tourné court. Les Anglais dansaient et baisaient pendant qu'Hitler leur balançait des V2. Alors, une dizaine de crétins à capuches, pfff...

 Et malgré le chef d'oeuvre du grand Pastore, malgré une victoire prometteuse, je ne pus m'empêcher, en rentrant à Montreuil, de verser une larme, à l'intérieur. Nous avons tout perdu et pour toujours. Nous marchons seuls.

Photo - dr   Texte - Jérôme Reijasse

PS : retrouvez les précédents épisodes de 7 Jours loin du monde ICI.

Bonus : les aventures de Jérôme Reijasse en vidéo

 

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