Je suis né le 9 septembre 1971.
Depuis, toujours, tout le temps, sans cesse, il est là.
Il crie, pleure, dénonce, pointe, balance, menace, éructe, en direct.
Sa chemise blanche aime autant l'amidon que les spots des plateaux télé. Ses cheveux démontrent un héroïsme sans faille. De Miami, il a le vice et la femme. Il a un regard de petit gris, comme s'il observait le monde d'ailleurs. D'en haut ?
Il écrit des livres que personne ne lit, n'achète. Il tourne des films qui n'en sont pas et des documentaires aussi objectifs que ceux de Leni Riefenstahl. En moins jolis tout de même. Que personne ne va voir en salles. Une carrière en bois, tropical de préférence.
Et il est là, toujours, tout le temps, sans cesse.
Il est là.
Il occupe, envahit, bombarde, épuise.
Vais-je crever avant lui, vais-je dire à mon fils, sur mon lit de mort, qu'il devra lui aussi le subir, le porter comme le cadavre de nos espoirs brûlés ?
Alors que le peuple de France serre les poings, que son avenir relève d'un moonwalk dans la boue et les barbelés, une promesse de cauchemar, lui vient dans les médias, tous, en boucles, nous apprendre l'indignation sélective, la vengeance choisie, la guerre juste. Pour les autres, certains autres, loin d'ici. Proches de ses intérêts.
Pour cet homme cultivé, riche, très riche (trop, peut-être, pour être honnête), philosophe en solde, penseur aspartame, soldat pistonné, jamais au front (sauf quand l'horreur est déjà passée et que les caméras peuvent reprendre leur travail de sape), le monde n'est qu'un. Le sien. Les frontières sont à rayer des cartes, les peuples doivent se mélanger, s'unir, s'oublier dans une grande valse internationale amoureuse, la paix doit l'emporter, coûte que coûte. Bien sûr, comme tous les grands hommes, il a ses contradictions, ses paradoxes. Il peut, ici et là, sauvegarder certaines frontières, zapper certains peuples. Annihiler pour pacifier. Oublier pour avancer. Ce n'est pas de la méchanceté, non, ne croyez pas ça. Une étourderie tout au plus. Une coquetterie avanceront les plus cyniques.
Il aime les enfants martyrs, les femmes violées, les charniers, réels ou imaginaires, les villes en feu et les armées en action. Sans malheur, point d'estrade, point de visite nocturne à l'Élysée. Pas de lumière. Pouvoir zéro. Si les hommes, ces cons incultes qu'il faut bien guider dans les ténèbres, avaient appris à partager, il ne servirait à rien. Et il faut bien que quelqu'un fasse le job. Les Français, trop lâches, trop paresseux, trop collaborateurs, l'ont élu sans jamais aller aux urnes. Une gageure.
Depuis le 9 septembre 1971, cet homme me terrifie, m'interpelle, me dérange, m'agace.
Et me fait rire, évidemment, comme tous les clowns dangereux. Comme tous les espions démasqués.
Dans ses poches, pas de calumet, pas de colombe. Des grenades, des contrats, du sang. Dans son coeur, personne ne sait. Les rares qui ont tenté l'exploration n'en sont jamais revenus pour témoigner. Dans son slip, un serpent.
Après avoir ridiculisé la souffrance yougoslave, abandonné la Lybie au chaos (quelqu'un a-t-il, depuis la chute de Kadhafi, aperçu un reportage sur l'état du pays ? Sur les massacres ? Quelqu'un ?), insulté la Syrie, il défile maintenant sur mon écran plat pour sauver l'Ukraine. Hier, il hurle que cette violence, là, en live, est déjà intolérable. Que les réunions, les discussions, les accords ne serviront à rien. Que dit-il en fait ? Qu'il faut encore attaquer, mordre, détruire pour mieux reconstruire ? Un maçon, le mec, un maçon. Une truelle dans chaque main. Et que truelle rime avec quenelle n'est ici qu'un hasard malheureux. Je le jure Monsieur le Juge.
Hier soir, après l'avoir subi de trop longues minutes, avant d'éteindre, j'ai pensé à ça : comme dans la bande-dessinée Astérix, il serait formidable d'édifier un ring et d'y faire monter d'un côté notre ami belliciste humaniste et de l'autre Poutine. Un match de boxe retransmis partout dans le monde.
Quelle jouissance d'assister, après tant d'années d'occupation cathodique, de mensonges honteux, de murs invisibles, à cette branlée historique! Poutine, nouveau Drago, ne ferait même pas durer le plaisir. Un, deux, peut-être trois coups et tapis. Un poing levé en signe de victoire. Notre victoire.
En attendant, il faut qu'il se taise maintenant. Saturation. Un homme qui ment autant ne finit-il pas un jour par déborder ? Par exploser, comme le gros client chez les Monty Python.
Je suis né le 9 septembre 1971.
Je n'en peux plus.
Dessin - Waga Texte - Jérôme Reijasse
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