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Le Gri-Gri International

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Littérature - Politique - Philosophie - Histoire - Sports - Économie


Ouattarie / "Arrêter les Com-Zones, ce serait replonger le pays dans le chaos"

Publié par Jean-Baptiste Naudet Ezzat dr www.legrigriinternational.com sur 28 Février 2014, 07:30am

Catégories : #Côte d'Ivoire - Élections 2010

Alassane ouattara

Michel Galy a, sur Facebook, attiré notre attention sur un article paru dans le Nouvel Obs n° 2571 (13/02/14) étonnamment passé inaperçu : Côte d’Ivoire “La croissance ne se mange pas”. En dix ans de crise, le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 10% à 50%. Trois ans après la chute de Laurent Gbagbo, le pays sort du marasme. Mais la corruption et les tensions politiques fragilisent la normalisation.

De notre envoyé spécial Jean-Baptiste Naudet

Dans l’air, il flotte comme un sentiment d’urgence. En ce jour pourtant nonchalant et férié, un
ouvrier armé d’un chalumeau s’acharne à rénover la résidence de l’ex-président Laurent Gbagbo à Abidjan, dans le quartier chic de Cocody. Comme s’il fallait effacer toute trace de la sanglante bataille, qui, il y a près de trois ans déjà, a opposé les partisans de Laurent Gbagbo, à ceux du vainqueur du scrutin, Alassane Ouattara, épaulé par les troupes françaises de l’opération Licorne. Touché par les balles et les roquettes tirées par les hélicoptères français, le poste de garde de l’ex-résidence présidentielle a été criblé d’impacts. Arrêté à l’issue de l’affrontement, Laurent Gbagbo, qui refusait alors de reconnaître sa défaite à l’élection présidentielle, dort aujourd’hui en prison à La Haye (Pays-Bas), en attente d’un éventuel jugement pour crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale. Beaucoup de ses partisans, près de 700, croupissent encore derrière les barreaux en Côte d’Ivoire. Mais, dans la capitale économique ivoirienne, la vie a repris. Les marchés fourmillent, la circulation congestionne la ville devenue propre, les chantiers grouillent avec, comme symbole, celui d’un troisième pont gigantesque enjambant la lagune. Tout semble normal ou presque. Certes, il y a bien parfois ces camions ou pick-up chargés de soldats qui sillonnent les avenues à vive allure. Et, dans le quartier de Cocody, la résidence privée du nouveau président, Alassane Ouattara, est toujours gardée par un blindé de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci). La Côte d’Ivoire, vitrine brisée de l’Afrique de l’Ouest, semble hésiter. Elle pourrait être promise à un brillant avenir, à un nouveau « miracle économique », devenir le « dragon » de la région. Ou bien sombrer de nouveau dans le chaos, les massacres, la guerre civile. C’est ce que certains appellent le « match retour » : une violente revanche des partisans de Gbagbo, humiliés en 2011, contre ceux, triomphants, de Ouattara. Le compte à rebours a commencé pour 2015, date de la prochaine élection présidentielle.

Après la courte mais violente crise postélectorale (3 000 morts), point d’orgue sanglant de dix ans de divisions du pays entre un Nord pro-Ouattara et un Sud pro-Gbagbo, l’économie – restée à l’arrêt pendant cette décennie perdue – a redémarré : 9,8% de croissance en 2012, puis 8,7% en
2013. En 2014, l’expansion économique pourrait être à deux chiffres, atteignant les 10%. Candidat à sa succession, le président Ouattara promet de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020. Pourtant la population gronde. « L’argent travaille, mais nos poches sont vides », se plaint un vendeur au marché. « La croissance ne se mange pas », ironise, amer, un chauffeur de taxi. Pour survivre, de très jeunes filles se prostituent pour quelques euros. En dix ans de crise, la misère a fait des ravages. Alimentant toutes les rancoeurs, le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté – moins de 450 francs CFA par jour (0,70 euro) – est passé de 10% à 50%. Allégé du fardeau de la dette par les instances internationales, l’Etat multiplie les investissements publics dans les infrastructures. Mais, pressées de faire décoller l’économie et de résoudre les problèmes sociaux avant les élections de 2015, les autorités passent de 40% à 60% des marchés de gré à gré, sans appel d’offres, ce qui est la porte ouverte à tous les dérapages. Et quand il y a concurrence, ce n’est souvent qu’en apparence. « Les ministres ont monté des sociétés écrans pour répondre aux appels d’offres », dénonce Antoine Tiémoko, directeur de l’Eléphant déchaîné, journal satirique spécialisé dans l’investigation économique.

Symbole de cette corruption : le second terminal à containers du port d’Abidjan, le plus grand de la région, le second d’Afrique. Alors que ce nouveau port devait faire concurrence au premier, qui pratique des prix très élevés, il a très étrangement été attribué au même concessionnaire : Vincent Bolloré. L’homme d’affaires français avait déjà obtenu le premier terminal de gré à gré, sans appel d’offres. Tout le monde à Abidjan murmure les noms de ceux qui ont « touché ». En attribuant ce contrat, le pouvoir ivoirien a sans doute aussi voulu faire plaisir à Paris, dont l’aide a été déterminante pour la conquête du pouvoir. Proche de Sarkozy, Bolloré a su se faire bien voir de François Hollande. Alors Ouattara a peut-être voulu prendre une garantie. Car, en cas de nécessité, la force française Licorne – 450 hommes bien armés, bien entraînés, basés près de l’aéroport pour recevoir rapidement du renfort – pourrait de nouveau intervenir pour sauver le régime. La corruption galopante et l’instabilité politique chronique coûtent cher. Véritable moteur de l’économie, les investisseurs privés demeurent timides, en raison de l’insécurité juridique, mais aussi par crainte de nouveaux troubles, du « match retour »… L’extraordinaire potentiel agricole du pays reste à la base de sa croissance. La Côte d’Ivoire est le premier producteur de cacao (35% de la production mondiale), dont le prix a été garanti. Le gouvernement met en place des
lois et des structures, d’une efficacité restant à démontrer, pour essayer de limiter les aléas juridiques, combattre la corruption. Mais, réalisant que la croissance, dont les retombées se font
attendre, ne suffira sans doute pas à diluer les tensions politiques et  sociales d’ici à 2015, Ouattara a dû se résoudre à lâcher du lest.

Des partisans de Laurent Gbagbo sont libérés, par paquets de quelques dizaines. Les exilés sont encouragés à rentrer. Le pouvoir compte aussi sur le dialogue avec le Front populaire ivoirien (FPI)
de Laurent Gbagbo pour parachever la « réconciliation ». On parle même d’un gouvernement «d’union nationale ». Du côté du FPI, son nouveau leader, Pascal Affi N’Guessan, semble disposé à des concessions, d’autant plus que le parti est asphyxié financièrement. Les comptes bancaires publics, mais aussi privés, sont bloqués. Mais dans ses tournées en province, quand Pascal Affi N’Guessan évoque la réconciliation, il se fait chahuter. La base n’est pas prête. Et, loin des nouvelles réalités ivoiriennes, beaucoup d’exilés caressent encore des rêves de vengeance, illustrés par des attaques armées en 2012. Pourtant l’idée fait son chemin. Surtout si elle permet de récupérer des biens, d’échapper à une condamnation et d’être invité à « manger » à la table du gouvernement. Pour l’instant, otage de ses extrémistes, chaque camp se contente de la prudente politique des petits pas. La principale victime du règlement de la crise risque d’être la justice. Si les partisans de Laurent Gbagbo font toujours l’objet de poursuites, du moins formellement, et sans doute pour maintenir une certaine pression sur eux, ceux d’Alassane Ouattara n’ont jamais été inquiétés. Les associations des droits de l’homme dénoncent cette « justice des vainqueurs », qui alimente les rancoeurs, et donc la crise. Symboles de cette impunité : les « comzones », les commandants de zone, venus du Nord, qui se sont parfois rendus coupables de graves exactions pendant la crise. Loin d’être inquiétés, ils ont été promus à de hautes responsabilités dans l’armée. Loin de se cacher, certains d’entre eux défraient la chronique « people », s’affichant au bras de créatures dans les quartiers chauds d’Abidjan et brandissant un pistolet en or saisi à l’ennemi, au volant de voitures de sport de grand luxe. Ils arrêtent, détiennent et parfois maltraitent et torturent des partisans supposés de Laurent Gbagbo. Leurs hommes, comme près de 70 000 combattants, attendent toujours d’être désarmés. Dans l’ouest, instable, du pays, des partisans d’Alassane Ouattara qui se sont livrés à des massacres, après la crise postélectorale, échappent aussi à la justice. « Arrêter et vouloir juger les “com-zones” serait un suicide pour Ouattara. Ce sont eux qui forment le rempart de son régime, les seuls à lui être fidèles jusqu’à la mort », estime un haut responsable, pourtant critique. Avant d’ajouter : « Et les “comzones” ne se laisseraient pas faire. Vouloir les arrêter, ce serait replonger le pays dans le chaos. »

L’autre urgence en Côte d’Ivoire, c’est donc que la justice attende.

Dessin - Ezzat    Texte - Jean-Baptiste Naudet

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