L'avantage d'être encore abonné à Canal +, chaîne vieillotte, c'est que je peux regarder quand je le désire les pires films hexagonaux sans le moindre scrupule. C'est presque devenu un rituel. Les soirs de grande dépression, plutôt que de lire un auteur mort et génial (terminé récemment “Avec Doriot de Drieu) ou un écrivain vivant et génial lui aussi (fini Premières Séances, Dara, Folk et Rot Coco de Patrick Besson), quand les horloges acceptent de se taire et que l'espoir n'est plus qu'une mauvaise blague oubliée, je branche mon téléviseur, me dirige avec un sourire narquois vers le service de rediffusion de la chaîne cryptée et là, je choisis. Turf, Boule et Bill, Stars 80, Max, toutes les dernières arnaques cinématographiques françaises m'attendent. Me supplient ?
Je vais à droite, je vais à gauche avec la petite flèche de ma télécommande, parcours les résumés, forcément favorables, généreux, dithyrambiques, impossibles. Laurent Weil rôde... Je prends mon temps. À l'heure de sélectionner le pire, il faut savoir ralentir, respirer, attendre. Accepter sciemment de perdre une heure trente de sa vie simplement pour rire seul, au plus profond de ses entrailles, mérite un minimum d'investissement et de patience.
Ça y est. Pas la peine de tergiverser. Presque trop facile. Évidence. Devant moi, un casting de rêve, un pitch à tomber, il y a tout. Je prends.
Un homme (Nicolas Bedos) et une femme (Ludivine Sagnier) se retrouvent par hasard dans un avion, côte à côte, à New York, en classe business, en partance pour Paris. Ils se sont aimés, ils sont séparés, ils se haïssent. Très vite, on comprend que leur passé commun va nous être recraché à coups de séquences flashback. Pourquoi pas... Très vite, on devine que la principale inspiration du réalisateur est Quand Harry Rencontre Sally (ce qui, en 2014, relèverait presque du foutage de gueule). Très vite, on jubile devant autant de médiocrité, de clichés, de fiction bancale. On n'en demandait pas tant. Bedos sourit en permanence comme un intermittent du spectacle qui viendrait enfin de boucler ses heures, sa grosse tête, sa calvitie imminente et ses lèvres géantes dévorant le peu d'émotions qu'il parvient à dessiner, Sagnier est plus kamikaze, franche lorsqu'il s'agit de saborder sa carrière. Elle ne surjoue même plus, elle implose. Clémentine Célarié est la maman de Ludivine, une maman moderne, c'est à dire libérée, déçue, frustrée, qui déteste les hommes même si l'on devine qu'à la première queue qui passe, elle ne dira pas non. Il y a aussi Jackie Berroyer, vieux monsieur (il ressemble à la chaîne qui l'employait autrefois), qui joue le rôle du témoin-confident dans l'avion, alors que le couple se déchire pour évidemment mieux se retrouver à la fin. Non, je ne vous grille pas la conclusion, peu de gens seront de toute façon capable d'aller jusqu'au bout de cette histoire niaise, suffisante, cramée jusqu'à l'os qui ne parvient jamais à décoller, ce qui est plutôt couillon quand on passe la moitié du navet dans les airs. Une comédie romantique sans comédie ni romantisme. Balaise. Et quand le réalisateur (qui est-il ? Pas envie de vérifier, pas la peine) ne pompe pas Reiner, il s'attaque à Rochant. Quand, en 1989, l'homme du génial Les Patriotes faisait claquer des doigts Hippolyte Girardot afin d'allumer la Tour Eiffel et de séduire la trop rare Mireille Perrier, on chavirait. Là, parce qu'ils sont plus riches (quand le cinéma français va-t-il arrêter de filmer des histoires dans des appartements géants, avec des personnages qui semblent ne jamais devoir travailler, prenant l'avion comme on descend dans le métro ?), parce qu'ils peuvent tout se permettre vu qu'il n'y a pas de scénario, on retrouve Bedos et Sagnier dans (sur ?) la Tour Eiffel, à boire du champagne. Comme si de rien n'était. Quand Rochant transformait la réalité en magie, ici, on se contente de faire saliver les ânes. Et c'est filmé comme un clip de rap de 1998. Triste.
Il y a, au coeur de cette fable lisse, débile, qui n'existe pas, des moment de grâce, où l'humour emporte tout. Sans le vouloir, ce qui est encore plus jubilatoire. Quand Bedos se met au piano et se lance dans un jazz de supérette, l'air inspiré, à côté, Dany Brillant, c'est Mingus et on applaudit. On se repasse la chose une fois, deux fois avant de perdre le compte. C'est formidable, ce décalage entre ce que l'on voit et ce qu'ils pensent être, là, sur la pellicule, tous. 90 minutes et puis s'en vont. L'amour piétiné une nouvelle fois, avec une fin bien con, gavée de morale (que vient-elle faire là?) et de soleil qui brille. Quand on filme l'amour, il faut aller jusqu'au bout. Ou alors laisser tranquille le CNC, les financiers, les producteurs, les exploitants et éventuellement le public et garder sa petite histoire paresseuse, mesquine, menteuse pour soi. En soi. Pour toujours. Précision : Nicolas Bedos a aussi scénarisé et dialogué le machin. Le talent est une chose décidément mystérieuse. Avec ou sans merguez. Avec ou sans piston. Avec ou sans âme. Le film s'appelle Amour et Turbulences. Malheureusement, pas de Kareem Abdul-Jabbar ni de Peter Graves dans le cockpit. Mort Shuman me manque.
Photo - dr Texte - Jérôme Reijasse