Même scientifiques, méfions-nous des musulmans !
Ainsi titrions-nous, ici même, le samedi 10 avril dernier. Avant d'enchaîner ainsi...
Adlène H., depuis sa prison, écrit à des amis scientifiques. Évoque « des surfs gênants à partir desquels les enquêteurs ont tissé des fantasmes et des accusations ». S’interroge : « À Vienne (sa ville natale, en Isère), je conseillais les jeunes pour le travail, l’orientation et le respect de l’ordre. Que vont-ils penser d’un système prompt à saccager une vie irréprochable au nom de présomptions d’intentions basées sur des connexions internet ? » L’homme a 32 ans et est incarcéré depuis cinq mois et demi. À Fresnes, il a été hospitalisé quatre mois pour une hernie discale. Qui l’avait déjà obligé à prendre six mois de congé maladie, juste avant son arrestation. Ce qui avait alors rendu les enquêteurs soupçonneux. Surtout si l'on y ajoutait un retrait de 13 000 euros, destiné à acquérir un bien immobilier en Algérie. Me Dominique Beyreuther, l’avocate du scientifique, a fait cinq demandes de remise en liberté. Toutes rejetées. Dans la législation antiterroriste en vigueur en France, l’accusation « d’association de malfaiteurs en vue de commettre une infraction terroriste » tient une place centrale : deux personnes suffisent à former un groupe terroriste ; connaître de près ou de loin l’un de ses membres suffit à être inquiété ; contrairement au droit commun, qui considère les actes, l'antiterrorisme se suffit d’intention, de « simple » relation avec un groupe problématique. En attendant un éventuel procès, le prévenu peut passer jusqu’à quatre ans en détention provisoire. En octobre, le Franco-Algérien était mis en examen par le Parquet de Paris pour... association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. En janvier, sa détention préventive a été reconduite pour quatre mois. Il aurait eu des contacts internet avec Al-Qaida (sic) dans le Maghreb islamique (re sic) et aurait envisagé d’attaquer le 27e Bataillon de chasseurs alpins d’Annecy (quel homme !). « La seule chose qu’on lui reproche est en réalité d’avoir eu des contacts douteux sur des forums. Tout le reste n’est qu’invention. Cela m’a été confirmé par un officier des services de renseignement proche du dossier », précise Jean-Pierre Lees, vice-directeur du Laboratoire d’Annecy-le-Vieux de physique des particules. Jack Steinberger, Prix Nobel de physique 1988, et trois collègues professeurs ou docteurs au CERN ou à l’EPFL soutiennent Adlène H.
Le samedi 17 avril, l'hebdomadaire Marianne consacre une page à la même affaire. Après un chapeau pour le moins réducteur ("Ce chercheur musulman" et "collègues scientifiques" pour un Prix Nobel), le récit, dû à Anna Alter, est factuel, précis et distancié. Diagnostiquant en Adlène H. (les fameuses initiales qui nous manquent tant dans l'affaire du vigile noyé par la violence et la haine, comme dit Libé) un "modèle d'intégration", Anna A. le qualifie néanmoins de "chercheur franco-algérien". Mais comme il "connaît toutes les répliques de Louis de Funès par coeur", nous sommes rassurés : le garçon est équilibré. Donc, puisque c'est un modèle d'intégration et qu'il est question de sites Internet d'intégristes muslims, on peut légitimement en conclure que Adlène H. est un Arabe. Un Arabe en proie à une injustice flagrante. Une victime du racisme, pour ainsi dire. On pourrait même retrouver ce sujet en Une de Marianne... au moins en "accroche de couv'". Au pire, en gros sujet dans les pages société. Marianne a trouvé plus obscène, plus dégueulasse, plus insultant encore pour l'intelligence que le courrier des lecteurs droitards du Figaro : sa rubrique faits divers... Entouré de morts marrantes et d'escroqueries funky. C'est bien, Marianne, continue.
Photo - Grégory Protche Texte - GP