Les CROCODILES sont admirables. Trop humains pour la rentabilité. - par Jérôme Reijasse
Le nouveau Johnny Halliday produit par M, il ne faudra pas l'acheter. Même pas le voler. Parce que ce n'est pas bien. Parce que c'est moche, boursouflé, français quoi... En revanche, à l'heure où l'industrie du disque, à l'instar des banques, des gouvernements occidentaux, n'en finit plus de se plaindre (VITE, QU'ON LES ENTERRE UNE BONNE FOIS POUR TOUTES), un groupe américain (San Diego), au départ duo, les CROCODILES, sans campagne marketing ni support média, sort un deuxième album carrément formidable, Sleep Forever (chez Fat Possum/Differ-Ant), sorte de garage psychédélique à l'identité fière et aux influences classes. Ces gamins (ces petits cons ont à peine 20 piges) aiment ce qu'il faut savoir adorer, Velvet Underground, Phil Spector, Jesus & Mary Chain, Suicide, Buddy Holly, Bo Diddley... Après un premier disque obligatoire, le très minimaliste et agressif Summer Of hate (putain de titre) où ils hurlaient leur haine d'une société vidée de tout, juste bonne à acheter et à baiser pour la performance, ils récidivent donc, dans une veine plus shoegaze (c'est à dire une pop saturée aux effets parfois hallucinogènes), avec de vraies mélodies et des tubes de souterrain. Hier soir (vendredi 8 avril, ndlr), les CROCODILES jouaient à la Flèche d'Or. Avec une clavier, une batteuse, un bassiste (qui fêta alors ses 17 ans sur scène). Et un public venu en nombre. Le concert ne dura qu'une toute petite heure, suffisante cependant pour avoir envie de former un groupe, de déchirer ses habits de vieillesse, de croire que quelque chose est encore possible. Pour rien. Pour vivre. Le chanteur, Brandon Welchez, gesticula comme un serpent démoniaque, les lunettes noires d'un autre temps solidement vissées au crâne. Le corps en parfaite harmonie avec une section rythmique blitzkrieg. Au lieu de simplement reproduire leurs chansons en live, les CROCODILES préférèrent les accélérer, les pulser, les retourner. La salle répondit avec allégresse. Que des mômes, transpirants et ivres, heureux d'être là, ni cyniques ni blasés. Reprenant en choeurs les paroles sombres et habitées. En guise de rappel, des petits bisous échangés entre musiciens sur la bouche (pourquoi pas ?) et une reprise des Ramones, “Beat On The Brat”, hymne à la maltraitance des enfants trop agités. Formidable. Là, porte de Bagnolet, à 23 heures, le bitume, les bars branchés à deux balles et les Vélib atroces ont été comme aspirés par une déflagration sonique à la générosité vicelarde. Les CROCODILES sont admirables. Trop humains pour la rentabilité. Alléluia !
Texte - Jérôme Reijasse
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :