Ce roman de Unity Dow est inclassable : il s’agit d’un polar avec rebondissements, personnages hauts en couleur, mais également d’un portrait du Botswana. Savant mélange de fiction et de réalité qui fait voyager et surtout frissonner.
Les cris de l’innocente se déroule au Botswana, dans la région du détroit de l’Okavango, nature dense et villages traditionnels : pas de latrines, pas d’eau courante, on dort par terre et en famille, on élève du bétail, on croit à la sorcellerie et aux pouvoirs magiques… Les hommes « honnêtes » ont un petit commerce florissant, une bonne épouse, des bons enfants légitimes, une bonne maîtresse, qui élève, seule, ses enfants, et des ex-maîtresses, tout aussi sympas, qui reçoivent leur ex-amant, lorsqu’il veut rompre la monotonie du duo épouse-maîtresse. L’ « honnête » homme aimerait améliorer sa situation : il lui faut donc pratiquer le « diphego », un meurtre rituel. Il s’acoquine avec deux autres types dans la même situation ; et ils se mettent en chasse d’un « agneau sans poil » : une fillette impubère, qui n’a pas eu ses règles, est vierge, et sans pilosité. On l’enlève et on découpe certaines parties de son corps : les seins, les aisselles, le sexe et l’anus, il faut qu’elle soit vivante et se rende compte de ce qu’on lui fait, sinon sa « viande » et son sang seront mauvais.
Noe, âgée de 12 ans, disparaît : on retrouve ses vêtements ensanglantés. « Dévorée par un lion », la police classe l’affaire. Cinq ans plus tard, Amantle, 21 ans, qui a bien réussi à l’école, doit effectuer son service national (TPS) dans un dispensaire de brousse, où, en plus de son travail, elle fait la bonniche pour la famille qui l’héberge. Devinez où elle atterrit : pile poil dans le village de Noe. Y découvre une boîte contenant les vêtements ensanglantés d’une fillette. Intrépide, elle file au commissariat. Fonctionnaires tatillons, feignasses ou hilarants : Nono, qui mâche du chewing-gum et se goinfre de mayonnaise pour masquer l’odeur de cigarette, afin d’éviter les remarques de son chef. Amantle, aidée d’une amie avocate et d’une apprentie journaliste blanche accumulent des preuves, en prenant de très grands risques. Avec un autre TPS, ils tiennent un conseil de guerre, en pleine brousse, dans la nuit étoilée, certes, mais également trouée par les yeux verts des hyènes qui entourent le campement. La petite troupe d’élite fait venir les élus locaux qui promettent de trouver les coupables, enfin des boucs émissaires : les policiers qui ont bâclé leur boulot, parce qu’ils avaient peur de se faire tuer par ceux (dont ils connaissent l’identité…) qui avaient pratiqué le « diphango ».
L’auteur est la seule et première femme juge à la Cour suprême du Botswana. Amertume omniprésente dans les descriptions de la police et des instances dirigeantes du pays. Dont elle ne cesse de décrire la beauté. Les héroïnes, en dépit des entraves, peuvent accéder au pouvoir et se battre pour leurs convictions : Unity Dow est membre de l’International Women’s Rights Watch, et fait promulguer des lois protégeant les femmes et les enfants.
La fin est glaçante.
Texte - Jean-Paul Moche (Jeanne Folly)
PS : Unity Dow - Les cris de l’innocente - Actes Sud
PS 2 : article paru dans le numéro 74 du Gri-Gri International version papier