Il fallait oser ! Dans cet Ouest symbole de la cruauté des FRCI et de leurs supplétifs Dozos, dont les massacres sont décrits par le menu par les rapports d’Amnesty International, Alassane Ouattara a osé maintenir son interprétation biaisée de l’histoire de la Côte d’Ivoire, faisant de lui, de son camp et de ses hommes les incarnations du Bien absolu, tandis que ses adversaires politiques et ceux qui les soutiennent sont apparentés au Mal. Lors de ses échanges, à l’occasion d’un déjeuner avec la presse nationale et internationale à Man, Ouattara a pris très clairement la défense des « Dozos », les présentant comme des sauveurs. « Les dozos ne font pas partie de la police, de la gendarmerie et des forces républicaines. Ce sont des chasseurs traditionnels qui sont venus fort heureusement au secours des populations ». On appréciera le « fort heureusement ». Alassane Ouattara veut visiblement installer de manière permanente les Dozos dans l’Ouest du pays, dans le cadre de colonies "agricoles", ce qui aura pour effet d’intimider durablement les populations historiques aujourd’hui dépossédées de leurs terres. « Maintenant la guerre est terminée, la crise est passée et j’ai demandé au ministre de l’intérieur et au ministre de la défense de me proposer un schéma. Est-ce que c’est le cantonnement des dozos, est ce qu’il faut leur trouver des activités ainsi de suite. Mais certains dozos sont aussi des planteurs, des cultivateurs. Il faut qu’ils puissent avoir leur activité normale maintenant que la crise est derrière nous. Je pense qu’il ne faut stigmatiser personne ».
Une fois de plus, la culpabilité à géométrie variable.
Il ne faut stigmatiser personne certes. Mais l’actuel chef de l’Etat n’a eu de cesse de diaboliser, à longueur de discours, son prédécesseur, ses soutiens, « les miliciens et mercenaires », « l’article 125 » et tous les autres éléments de la phraséologie officielle qui justifie toutes les exactions. Il a une fois de plus permis aux Ivoiriens de comprendre que, pour lui, si les partisans du président Gbagbo peuvent d’ores et déjà être considérés comme coupables, les siens sont tous présumés innocents. « Vous avez indiqué que tous les responsables de crimes seront punis. Sans les résul- tats de la commission d’enquête, vous avez arrêté des pro-Gbagbo, pouvez-vous expliquer cela ? », lui a demandé un journaliste. « Oui, très simplement parce que nous avons des faits. Nous avons des faits évidents qui ne faisaient l’objet d’aucun doute, des assassinats. Egalement que ce soit des militaires ou des chefs miliciens, des personnes qui ont distribué des armes, ce n’est pas de l’arbitraire. Maintenant dans certaines régions comme à Duékoué, il y a eu des affrontements entre l’armée républicaine et des miliciens et des mercenaires. Et certaines organisations de droit humanitaire disent qu’il y a eu des tueries qui peu- vent être attribuées selon elles à des personnes des forces républicaines. Nous faisons une enquête et nous aurons les résultats. L’Etat de droit, je vous signale Madame, c’est de tenir compte de la réalité des faits. Si on n’a pas de faits, on ne peut pas arrêter des personnes. Ceux qui ont été arrêtés c'est parce que nous avons des faits et ces faits sont connus. Des personnes ont lancé des roquettes, des armes lourdes sur des populations civiles à Abobo, à Yopougon. Nous avons attrapé ces gens et leur place, c’est d’être jugés et d’aller en prison ». Les charniers de Duékoué, les dizaines morts dans les puits, les quartiers et villages entiers brûlés, ce ne sont pas des «faits» dans l’esprit d’Alassane Ouattara. Et le fait de s’être rendu à l’Ouest ne lui a pas ouvert les yeux sur l’immensité des crimes de ses hommes et le caractère totalement inadmissible de ses dérapages verbaux et de son révisionnisme historique permanent. Malheureusement.
Photo - LNC n°501 Texte - Philippe Brou