Sur le site du Nouvel Obs, la journaliste Céline Lussato rend compte d'un rapport d'Amnesty International sous le titre "Libye l'OTAN occulte les victimes civiles de ses frappes". Las d'attendre qu'Amnesty ne produise l'indispensable même rapport sur les victimes civiles des frappes françaises et onusiennes en Côte d'Ivoire, le politologue, journaliste et auteur Michel Galy a revu, corrigé et adapté le dit rapport...
Plus de 11 mois après la fin de l'opération militaire de l’ONU et de la Force Licorne, aucune enquête n'a été menée par l'Organisation concernant les victimes civiles dues à ses frappes dénonce Amnesty international, lundi 19 mars, dans un rapport intitulé "Côte d’Ivoire, les victimes oubliées des frappes de l'Onu et de la France".
Amnesty, dont les équipes ont recensé sur place 55 victimes civiles identifiées, dont 16 enfants et 14 femmes tuées dans le cadre de frappes aériennes à Abidjan, note que nombre de ces pertes sont dues "à des frappes aériennes lancées contre des logements privés, où Amnesty International, pas plus que d'autres, n'a découvert d'éléments prouvant qu'ils étaient utilisés à des fins militaires au moment de l'attaque". Un bilan d'ailleurs très proche de celui de la Commission internationale d’enquête sur la Côte d’Ivoire dans son rapport final rendu au Conseil des droits de l'homme des Nations unies. La commission conclut en effet dans ce dernier que "sur vingt raids de l’Onu examinés, la Commission a recensé cinq raids durant lesquels 60 civils au total avaient été tués et 55 autres blessés".
Pas d'investigations
L'ONG insiste sur le fait que "l'Onu n'a pas mené les investigations nécessaires, ni même tenté d'entrer en contact avec les survivants et les familles des victimes. (...) Il est profondément décevant que les victimes qui ont survécu et les familles des personnes tuées par les frappes aériennes de l'Onu ne sachent toujours pas ce qui s'est passé ni qui était responsable", souligne Donatella Rovera, conseillère principale sur la réaction aux crises à Amnesty International. Celle-ci, qui a passé de longues semaines en Cote d’ivoire, d'abord à Abidjan lors du pilonnage par les troupes de Guillaume Soro et par la suite dans d'autres villes du pays, rappelle que "les dirigeants de l'Onu et de la France ont mis en avant à plusieurs reprises leur détermination à protéger les civils" et indique qu'à ce titre "ils ne sauraient aujourd'hui balayer d'un revers de main la mort de nombreux civils en se contentant de vagues déclarations de regret, sans enquêter dûment sur ces funestes événements."
Minimiser les risques
L'ONU, qui agissait en Cote d’Ivoire sur la base de la résolution 1975 du Conseil de sécurité des Nations unies qui autorisait les Etats membres "à prendre toutes les mesures nécessaires (…) à la protection des civils" en Côte d’Ivoire, a, semble-t-il, "fait de nombreux efforts pour minimiser les risques de dommages sur les civils, notamment grâce à des munitions à guidage de précision et, parfois, en avertissant au préalable les habitants des zones visées", souligne Amnesty international dans son rapport. Mais les dommages collatéraux sont pourtant là. Et ils ne concernent pas que des biens matériels. Certains bâtiments visés n'étaient autre que des habitations occupées par des familles. "Je ne peux comprendre pourquoi ils ont frappé ma maison. Nous sommes des civils et n'avons rien à voir avec la guerre, la politique et toutes ces choses" affirme à Amnesty Konan Kouakou dont la maison à Abidjan a été détruite le 8 avril lors d'un raid. "Jusqu'à aujourd'hui ni l'ONU ni la Licorne n'ont pris contact avec nous, ni pour s'excuser, ni même pour s'inquiéter pour les victimes" affirme ce père de famille qui a perdu plusieurs membres de ses proches ce jour-là. "Nous avons été oubliés". Selon les survivants, 34 civils dont huit femmes et huit enfants ont été tués lors de trois attaques séparées ce jour-là.
De vifs regrets
C'est pourquoi Amnesty insiste sur le fait que "les enquêtes doivent déterminer si les pertes en vies humaines au sein de la population civile sont la conséquence de violations du droit international et, le cas échéant, les responsables présumés doivent être déférés à la justice".
Dans sa dernière réponse adressée à Amnesty International le 13 mars, l'ONU a affirmé qu'il "regrette vivement tous les dommages qui ont pu être induits par ces frappes aériennes", et que la "responsabilité première" de conduire des enquêtes revient aux autorités ivoiriennes.
Refus d'assumer les responsabilités
Mais pour Donatella Rovera, "la réponse de l'ONU équivaut à un refus d'assumer la responsabilité de ses actes. Elle donne aux victimes et à leurs familles le sentiment qu'elles ne sont pas prises en compte et n'ont aucunement accès à la justice."
C'est pourquoi Amnesty appelle l'ONU et le gouvernement Ouattara à "veiller à ce que des enquêtes indépendantes, impartiales et approfondies soient menées dans les meilleurs délais sur toutes les allégations de graves violations du droit international et à ce que leurs conclusions soient rendues publiques. Lorsqu'il existe suffisamment de preuves recevables, les suspects doivent être poursuivis."
Photo - dr Texte - Céline Lussato (un peu) & Michel Galy (beaucoup)