Le 11 avril, je pense au 29 mars. 29 mars 2011 : Duékoué. Mille morts. Au moins. Morts d’être ce qu’ils sont. En proie à des brutes résumables à ce qu’elles font et défont.
Le 11 avril, je pense à ceux qui auront osé nous dire qu’il n’y avait eu à Duékoué que des affrontements interethniques. Des rixes. Des la bagarre. En tout cas pas d’intention génocidaire.
Le 11 avril, comme Mathilde Thépault, je pense aux Herreros qui continuent d’attendre que l’Allemagne daigne reconnaître le leur, de génocide.
Le 11 avril, je pense à la mâchoire ensanglantée du ministre Désiré Tagro abattu juste après avoir conclu une trêve avec Cochon 1er, l’ambassadeur de France d’alors en Côte d’Ivoire.
Le 11 avril ; je pense à la Jeanne Dark ivoirienne enfermée à Odienné. Simone Gbagbo, mon homme politique préféré. La femme la plus garçon du monde.
Le 11 avril, je pense au maire d’Alepe. Réfugié, comme on dit pudiquement, au Ghana. Me montrant une vieille poule fatiguée, il disait « Greg, je te présente ma basse-cour. » Décembre 2011.
Le 11 avril, je pense à mon maître, Vergès. Ce bordel qu’il aurait mis à la CPI lorsqu’on y a produit de faux documents contre Gbagbo.
Le 11 avril, je pense à Charles Blé Goudé. Traqué, exhibé, humilié, caché, photo-monté, puis finalement envoyé lui aussi à La Haye.
Le 11 avril, je pense à Bernard Houdin, à Guy Labertit, à Stanley Prager, à Michel Galy, à Christine Tibala, à Patrice Broyer, à Hervé Penot… à Philippe Rémond aussi. Surtout.
Le 11 avril, je pense aux enfants nés de couples franco-ivoiriens… ceux qui ont vu le pays de leur père attaquer celui de leur mère. Ou le contraire.
Le 11 avril, je pense à tous les jeunes patriotes ivoiriens morts sous les bombardements et tirs conjoints des rebelles FRCI, de la Force Licorne et de l’ONUCI.
Le 11 avril, je pense à Ban Ki Moon, l’expert-comptable de l’ONU, qui préféra recompter les morts plutôt que les bulletins de vote.
Le 11 avril, je pense à Sarkozy, Hollande, Valls et Fabius.
Le 11 avril, je pense à Mahan Gahé.
Le 11 avril, je pense aux infatigables marcheurs ivoiriens, à Paris, Florence, Stockholm, Montréal, Londres, Washington DC.
Le 11 avril, je pense aux Ivoiriens de Côte d’Ivoire. Celles et ceux dont vous toutes et tous ici attendez le salut. Car le salut ni de La Haye, ni de Paris, ni de l’ONU, mais bel et bien de Côte d’Ivoire.
Le 11 avril, je pense que si Abidjan tombe, c’est toutes la France-Afrique qui tombera.
Le 11 avril, je pense, et plus que jamais aujourd’hui, que c’est à la Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens qu’incombe ce rôle, cette fonction, cette mission : être l’Algérie de l’Afrique noire francophone.
Vendredi 11 avril 2014
Photo - dr Texte - Grégory Protche (& HGMJ)
Initialement paru in Le Nouveau Courrier