S'il est un continent où François Hollande peut immédiatement imposer un nouveau cours qui aille à l'encontre du quinquennat précédent, et très vite, c'est bien l'Afrique subsaharienne.
A l’opposé du mépris et de la violence du régime sarkosyste, le continent, et singulièrement l'Afrique francophone, n'attend qu’un signe du nouveau pouvoir pour mettre à bas nombre de régimes dictatoriaux et de démocratures oppressives, bien au delà de la Françafrique. Comme en 1981 ! A part qu’à l’époque la politique africaine de François Mitterrand contenait plus de continuités que de ruptures : le signe qu’attendaient les démocrates africains ne sera jamais donné, et le « discours de la Baule » fait rétrospectivement image de vœu pieux, ou de rideau de fumée, plutôt que de changement radical…
Les beaux discours, les enrobages, les commissions et remontrances ne suffisent pas : il faut des actes ! Tenants des dictatures et des continuités douteuses se livrent à chaque changement de régime parisien à une danse médiatique rituelle et à un discours bien rodé : « Françafrique » et, horreur suprême, « néocolonialisme » seraient à la fois des termes archaïques et dépassés, et des réalités abolies. Ou en voie de l’être. Bientôt, sans doute, demain certainement. Quand l’urgence au Mali, la fin de la crise à Paris, les graves priorités internationales le permettront. Ou pas !
Car dans la réalité politique, le temps est compté à François Hollande, à supposer qu’il veuille effectivement appliquer son programme de rupture et de démocratisation du continent. La fenêtre de tir est réduite : l’expérience montre qu’ après un an, les jeux sont faits, les ministres du changement - Jean Pierre Cot hier, Pascal Canfin demain ? - sont vite destitués et remplacés par des responsables à l’échine docile…
D’autant que des signes désastreux ont été donnés : réception d’autocrates à l’Elysée ou Bercy ; projets d’aide économique et militaire à des régimes africains à la légitimité douteuse – et, hélas ! la visite à Kinshasa s’inscrit dans cette symbolique de continuité dans les compromissions et les abandons successifs des bonnes intentions initiales..
Hollande veut se rendre à Kinshasa, et certes la francophonie procède bien du soft power français. Mais pour quoi faire ? Pour conforter l’héritier Kabila si mal élu que mêmes les observateurs de l’Union européenne ou ceux du Centre Carter, ailleurs si bienveillants aux élections truquées, s’en sont publiquement étonnés - sans oser révéler cependant ce que toute l’Afrique sait, à savoir que c’est le vieil opposant Etienne Tshisekedi qui a été élu ?
Cette francophonie qui devrait être celle des peuples et des intellectuels de langue française, - « la langue de Voltaire avec les idées de Voltaire », disent les opposants congolais -, qui devrait refuser de cautionner élections truquées et interventions occidentales. Un président français qui pourrait non pas discourir, mais exiger un gouvernement d’Union nationale. Comme au Zimbabwe. Comme au Kenya. Le contraire d’une démission ou d’une intervention. Des exigences démocratiques et consensuelles - et pas au prix de l’esquive, mais avec du courage politique et une éthique exigeante : celle que devrait porter celui qui représente la République française, - et ses valeurs dont se réclament encore les panafricanistes et les démocrates de Kinshasa, Abidjan ou Bamako !
Et certes la diplomatie française, pour se sortir du « piège congolais » a soigné les détails et les signaux : réception de l’opposition, remontrances feutrées, brièveté du séjour du président Hollande. Ce qui d’ailleurs ne trompe personne : quel atout de propagande pour un régime Kabila si contesté que cette visite présidentielle française ! On retiendra à Kinshasa cet adoubement public, tandis que les critiques à mi voix seront vite oubliées sitôt l’avion présidentiel parti ! La taille des coupes de champagne et les beaux discours diplomatiques n’entrent pas en ligne de compte dans la Réalpolitik qui depuis un demi siècle asservit l’Afrique…
Sans oublier Dakar, rajouté in extremis pour compenser Kinshasa ! Et clamer un contre « discours de Dakar » est aussi facile que nécessaire : cornaqué par des africanistes parisiens, François Hollande n’aura aucun mal à féliciter Macky Sall de son élection récente, et affirmer bien haut qu’eux deux, en tout cas, sont bien « entrés dans l Histoire » par la bonne porte médiatique…
Mais ce circuit africain ne suffit pas : l’Afrique des démocrates exaspérés, celle d’avant les révolutions africaines peut être à venir, celle où selon leurs interventions et exactions passées les Français sont aussi populaires que les Américains dans l’Amérique Latine des années 70, veut bien plus : des actes !
Oui, la France est bien en retard d’une décolonisation. Et les actes pour y mettre fin sont connus, voyons donc ce qui sera annoncé à Paris, Kinshasa, ou Dakar - annoncé et tenu ! Retrait total, même échelonné, de tous les corps expéditionnaires français du continent - la France étant la seule puissance ex (?) coloniale à y garder des bases permanentes - et à en user pour maintenir des régimes corrompus et des dynasties d’autocrates au pouvoir. Arrêt des incursions militaires – comme celle en cours au Mali et au Sahel, où depuis 50 ans et sous des prétextes divers la « coloniale » (le terme est encore aujourd’hui en usage dans l’infanterie de marine) va « casser » opposants, rebelles et parfois régimes légitimes luttant pour plus d’autonomie. Fin des grandes cérémonies françafricaines, des « pseudo sommets » où se voit le pouvoir sur scène – celle de la sujétion et de l’humiliation africaines. Politique de réconciliation et d’union nationale favorisée à Kinshasa ou Abidjan, comme les anglophones ont su le faire à Nairobi ou Harare. Dissolution de la zone franc et fin du franc CFA. Enfin ouverture des Universités françaises aux étudiants et chercheurs francophones, comme quelques chercheurs parisiens viennent justement de le réclamer. C’est à l’aune de ces actes que l’Afrique – et une Histoire centenaire de complexes rapports, jaugera et jugera le voyage africain de François Hollande.
Devant les nuages noirs qui s’annoncent en métropole, François Hollande tient une occasion unique de marquer de son sceau la scène internationale, et de répondre aux espérances de tout un continent. S’il a le courage de rompre avec un passé colonial et d’oublier son propre entourage : le moment de tous les possibles, maintenant…ou jamais ?
Photo - dr Texte - Michel Galy
Politologue, chercheur au Centre l'études sur les conflits, professeur à l'Institut des Relations internationales (ILERI, Paris)