« Mon arrière grand-père a été exhibé parce qu’il était Breton. L’histoire des exhibitions humaines n’appartient pas plus à moi qu’à Lilian Thuram. » Pascal Blanchard, commissaire scientifique avec Nanette Jacomijn Snoep de l’exposition, L’invention du sauvage, au musée du quai Branly, estime que « désigner le sauvage, c’est désigner la norme. » Les Anglais ont exposé des Irlandais, les Français des Corses et des Flamands et bien sûr tous les peuples du monde, nouveaux à leurs yeux. Avec quelque 500 pièces exposées (affiches, cartes postales, sculptures, films dont le 12e des frères Lumières, en 1895 !), l’exposition offre un parcours terrible sur les chemins de la cruauté humaine et sur les traces du racisme scientifique. « Une exposition où l’on marche sur un volcan, mais où l’importance et le nombre de pièces permettent d’éviter les écueils que guette pareille aventure », selon Pascal Blanchard. Car le risque n’était pas loin que de reproduire ce voyeurisme malsain qui a fait florès entre 1894 et 1940. Les zoos humains ont été visités par 1 milliard et demi de visiteurs entre ces deux dates en Europe, en Amérique du Nord et même au Japon où l’on exposait des « Coréens cannibales » et des Européens (Osaka en 1903) ! Au jardin d’acclimatation de Paris, dans les expositions universelles ou coloniales, on allait voir les Galibis, les Kanaks, les Africains, les Arabes comme on allait voir Elephant man ou la femme à barbe… A Saint-Louis, Missouri, en 1904, 7 500 « figurants exotiques » ont été exposés. On a organisé pour eux des « Jeux anthropologiques ». « En même temps qu’on fabrique l’image de l’altérité, on fabrique l’image de l’Occidental, raconte l’historien. Les zoos humains sont la version démonstrative de l’assimilation ». Lilian Thuram, commissaire général de l’exposition, ne dit pas autre chose quand il déclare : « On devient noir dans le regard de l’autre. » Loin de tout voyeurisme donc, cette exposition est avant tout une réflexion sur l’altérité et la perception de l’autre. Pour justifier l’esclavage, la colonisation et son rôle civilisateur, l’occidental a eu besoin de se prouver sa supériorité. « Le sauvage n’existe pas, mais l’occident l’a créé car il en avait besoin », analyse Pascal Blanchard.
Infos pratiques : L’invention du sauvage. Acclimatations/Exhibitions - Du 21 novembre au 6 janvier 2013 - Tous les jours de 10h à 18h au Musée des enfants - Jardin d’Acclimatation Bois de Boulogne - 75116 Paris - www.jardindacclimatation.fr