L'Histoire retiendra que Nicolas Sarkozy aura été, après Valéry Giscard d’Estaing, le second président en exercice en France à perdre le pouvoir après un seul mandat. Comme Giscard, il laisse le pouvoir à la gauche, après avoir échoué à réunir les droites. Comme Giscard, il n’incarnait pas vraiment le gaullisme historique français, mais représentait une droite ouvertement libérale et atlantiste (alignée sur les Etats-Unis). Giscard est tombé avec en bruit de fond « l’affaire des dia- mants » de Jean-Bedel Bokassa, dont il avait complaisamment orchestré le sacre avant de le renverser. Sarkozy s’en va alors que s’enchaînent les révélations sur les 50 millions d’euros que Muammar Kadhafi lui aurait promis, pour financer sa campagne victorieuse de 2007...
Bon débarras ! Un ennemi de l’Afrique indépendante s’en est allé, un adversaire déclaré des Africains vivant en France, Subsahariens et Maghrébins, est tombé. Ni remords, ni regrets. La carrière politique de cet homme qui aura amené la droite républicaine vers une impasse idéolo- gique fascisante est finie. Nicolas Sarkozy est avocat, ça tombe bien pour lui. Il risque fort désormais d’avoir beaucoup de travail avec toutes les procédures judiciaires qui visent déjà ses proches – et qui l’atteindront bientôt – et qui témoignent toutes du rapport problématique à l’argent de sa coterie de profiteurs.
Dire que Nicolas Sarkozy a été un bourreau de l’Afrique n’est ni mentir ni exagérer. Cet homme a brisé tous les tabous et a fait de la souveraineté de la Côte d’Ivoire et de la Libye de simples chiffons de papier. Violent, il a lancé des milices assassines à l’assaut de ces nations. L’insécurité, les actes de génocide dans l’Ouest, l’activisme meurtrier des miliciens dozos en Côte d’Ivoire en témoignent. Le chaos libyen, la prolifération d’armes lourdes, la poussée salafiste, le Mali livré à des hordes salafistes dont certaines ont part liée avec Al-Qaida... tel est l’héritage mortifère de l’ancien maire de Neuilly dans la bande sahélo-saharienne. Nicolas Sarkozy aura été le président français le plus détesté en Afrique depuis les indépendances. Et sur le continent, on fêtera plusieurs jours sa fabuleuse débâcle.
Pour la première fois depuis 1993, la droite sera, selon toute évidence, à 100% dans l’opposition. Le président ne sera pas de droite, le Premier ministre non plus. Le Sénat est déjà à gauche, l’Assemblée nationale suivra lors des législatives qui viennent. La gauche aura donc le pouvoir. Tout le pouvoir. Alors qu’une crise financière inédite fait trembler l’Europe, osera-t-elle en finir avec les pratiques discutables – et meurtrières – de la Françafrique, qui sont arrivées à un tel point qu’elles créent une fracture au sein même de la communauté nationale hexagonale ?
Une hirondelle ne fait pas le printemps. Une élection ne fait pas la révolution. La Françafrique est toujours là. Président élu de la République française, François Hollande en est le nouveau chef. A ce titre, il est le nouvel adversaire de l’Afrique digne, de ceux des Africains qui pensent que leur continent a un destin en dehors de l’arrimage à une quelconque grande puissance. Le système qui a semé la mort et la désolation ces dernières années en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali, n’est pas réductible à un homme. La Françafrique, c’est la présence des bases militaires françaises en Afrique. Les dix dernières années en Côte d’Ivoire montrent bien que ces bases peuvent servir d’instrument puissant de déstabilisation des Etats dont les chefs déplaisent. La démocratie dans un pays occupé par l’armée française ne peut être qu’une démocratie « sous haute surveillance ». Une démocratie frelatée, en carton-pâte, en trompe-l’œil.
La Françafrique, c’est également ce franc CFA piloté depuis Paris, nouvel instrument de pression de la galaxie françafricaine dont les filiales locales les plus « dynamiques » sont installées à Abidjan et à Ouagadougou. Sur les 54 Etats africains, seuls les quinze pays de la zone franc sont considérés – et se considèrent – comme mineurs sur le plan monétaire. Il faut en finir avec ce scandale. La Françafrique de gauche existe. Et l’activisme africain de person- nalités comme Jean-Louis Bianco, Laurent Fabius, Jean-Pierre Mignard (qui a l’oreille d’Alassane Ouattara, d’Idriss Déby et de Paul Biya) n’a rien de rassurant.
François Hollande est déjà sous surveillance. Au-delà de sa détestation de Gbagbo – qui irrite une partie de sa base électorale, et il le sait désormais –, François Hollande a déjà fait un premier renoncement. Sur le départ des troupes françaises de Côte d’Ivoire. « Je considère que la France doit maintenant retirer ses troupes de Côte d’Ivoire. Sa présence n’y est plus nécessaire », disait-il dans le cadre d’une interview à Jeune Afrique en octobre 2011. « Pour l'instant, il y a une demande du gouvernement ivoirien (...) Et tant que nous n'avons pas eu de la part des autorités qui ont décidé de cette présence une demande de nous retirer, nous ne le ferons pas. Mais c'est vrai que l'objectif est plutôt de ne pas rester plus longtemps que nécessaire », a affirmé le candidat socialiste entre les deux tours.
François Hollande aura très vite les clés des secrets d’Etat français. Il saura, avec la plus grande des certitudes, que le bombardement de novembre 2004 au terme duquel il a décrété l’infréquentabilité de Laurent Gbagbo a été le fruit des sombres manœuvres des gouvernements d’alors. Il connaîtra le rôle des services spéciaux de son pays en Côte d’Ivoire, de septembre 2002 à aujourd’hui. Il connaîtra la situation réelle en Libye, au Mali, et sera instruit sur les fautes et erreurs de son prédécesseur. Comprendra-t-il mieux ceux de ses électeurs d’origine africaine qui crient leur amertume hebdomadairement sur le pavé parisien ? S’il refuse de les entendre, cela ne sera pas sans conséquences. Ils continueront de crier leur dépit, de dénoncer la nouvelle Françafrique. Et refuseront de mettre, dans cinq ans, leur bulletin dans l’urne au profit du Parti socialiste.
Photo - LNC Texte - Théophile Kouamouo