Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
Cette semaine, c'était la fête des mères. Célébrons donc les pères.
Au départ, je voulais écrire une lettre au mien, de père, façon Guy Môquet. Sérieusement. Une lettre où, pour la première fois, je lui dirai que je l'aime. Où je parlerai de ses cheveux blancs, de ses yeux bleus tempête... De ses silences pudiques et rudes. Où j'évoquerai sa protection invisible, son métier d'artisan du cuir, sa mort future enfin. Je l'ai écrite, cette lettre. J'ai même failli pleurer. Quand on gribouille ce genre de choses, et si on ne triche pas, forcément, à la fin, en relisant, les yeux trinquent. Protche avait raconté le cancer de sa mère et j'avais déjà eu du mal à bloquer les vannes (À l'Heure Où ma Mère Meurt, chez Exils)... Et puis, allez savoir pourquoi, j'ai tout effacé. C'est mon père, pas le vôtre.
Après, j'ai voulu faire une sorte de Top 5 des meilleures chansons dédiées aux papas, juste pour me marrer. C'est ça les rock critic, un humour de merde et l'obsession des classements inutiles. J'ai très vite pensé à “Papa Chanteur” du mec aux mitaines en simili, le faux fils de Brigitte. À Tino Rossi et son “Petit Papa Noël”, les Temptations avec “Papa Was A Rolling Stone”... À Madonna... Et puis, là encore, j'ai laissé tomber. Ce n'était pas drôle. Et je suis paresseux.
Mais je voulais ABSOLUMENT honorer les pères.
Je branche alors ma console de jeux vidéo. Pour tester “Dangerous Hunts”. L'aventure virtuelle d'un daron barbu qui emmène ses deux fistons à la chasse et qui leur fait boire le sang de leur premier renne abattu dans la neige. Initiation, très John Milius dans l'esprit... Enfin, je dis “à la chasse”. Au carnage, oui ! Armé d'un joli fusil en plastique orange et blanc, je massacre tout ce que la nature compte d'animaux, sauvages ou pas. Pan, pan, pan et 5 buffles au tapis. Re-pan et c'est un troupeau de cerfs et de biches qui mange la poussière. Pan-pan-pan-pan-pan-pan : une armada d'oiseaux pas franchement identifiés quitte le ciel pour toujours. Et des hyènes, des éléphants, des rhino, des babouins, des ours, des lions... Tout y passe. La jungle saigne. Si Bougrain-Dubourg tombe là-dessus, il implose, littéralement. Je ne comprends toujours pas pourquoi j'ai été subjugué par ce jeu barbare. Comme si Bambi revivait en boucles l'assassinat de sa biche de mère. Et que moi, je me foutais de sa gueule en rechargeant mon flingue, la bave aux lèvres. Le syndrome galinettes cendrées peut-être...
Sinon, il faudra voir le film de Jodie Foster, Le Complexe du Castor. Avec Mel Gibson alias Adolf Hitler. C'est l'histoire d'un père dépressif, suicidaire, si loin si proche de ses deux enfants, de sa femme, ingénieur aimante et à bout de souffle. Qui un jour, après une pendaison ratée dans la douche d'un motel, plonge le bras dans une marionnette de castor, trouvée dans une poubelle où il était en train de bazarder les derniers objets de sa vie. Miracle ? La peluche mitée, cradingue s'incarne. Elle/Il parle. Mel Gibson refait surface. Tant qu'on le laisse cohabiter avec cette drôle de créature, il semble revivre... Oui mais... Je ne raconterai pas la suite, les histoires, il faut les respecter. Il y a dans ce film un acteur adolescent vraiment juste, sosie amaigri de Wayne Rooney, qui se fait payer pour écrire l'existence des autres, une pom pom girl assez bandante et pas si blonde que ça, des murs qui souffrent et qui explosent de couleurs et puis ce castor, à la fois lumière et ténèbres. C'est un beau film. Où les larmes viennent de loin. Et Gibson est impeccable.
Enfin, Philippe Dumez, lui aussi, parle de son père. Et de plein d'autres choses. De musique surtout. Autobiographique. Dans son livre, 39 Ans ½ Pour Tous” (à commander sur www.inmybedmusic.com), il se raconte tout au long de 510 entrées qui jonglent entre loufoque, madeleines, rires en coin, mauvaise foi totale et nostalgie jamais grise. Un exemple : “Je me souviens du spectateur qui traite mon père de “papy” lors d'un concert de Genesis auquel nous assistons. Il tire la gueule toute la soirée et on rentre avant la fin. C'est le dernier concert que je vois avec lui.” C'est touchant, rigolo, intime, on peut ne pas avoir les mêmes goûts que l'auteur mais on ne peut s'empêcher de sourire à intervalle régulier. Il y a également de jolis dessins reproduisant plusieurs dizaines de pochettes de disques, en début d'ouvrage, réalisés par un certain Prosperi Buri. On adhère, on dévore la chose.
Mais Papa, c'est quoi cette bouteille de lait ?
Photo & Texte - Jérôme Reijasse