Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
Le livre s'appelle L'Enculé. L'auteur, c'est Marc Édouard Nabe. L'Enculé... Faut-il avoir des couilles ou être resté cet éternel adolescent provocateur pour baptiser ainsi son oeuvre ? C'est un titre plutôt moche, à peine drôle, finalement plutôt convenu, punk, idiot. Et depuis que Nabe a mis une carotte taille XXL au petit monde moisi de l'édition, l'Enculé, c'est devenu son lecteur. 31 euros et quelques centimes pour recevoir la chose à domicile. 31 euros ? Je sais bien que Nabe s'est fait lui même enculer durant des années par ses amis éditeurs, je comprends qu'il veuille aujourd'hui gagner plus d'argent, avant le grand saut, c'est tout de même lui l'auteur, celui qui souffre avec son stylo mais de là à fourrer bien profond ceux qui le suivent encore... Curieuse façon de faire. Vengeance mesquine, au minimum... J'imagine qu'il répondrait qu'il se moque de ses lecteurs, que ce n'est pas son problème, que chaque Français reste libre de ne pas le consommer... Mouais. À force d'avoir trop fréquenté les salons qu'il vomissait, il ne lui reste plus qu'un costume à Nabe, celui de l'auteur petit-bourgeois qui cache son cynisme derrière des montagnes de décalage, derrière des micro explosions médiatiques. Mais on l'a aimé, on est du genre fidèle, on a parfois adoré le lire alors on accepte le hold-up bancaire. Et on raque. La livraison est rapide, à peine quatre jours. Moindre des choses. L'objet est sobre et joli. Nabe a gardé la ligne esthétique de son dernier roman, L'homme Qui Arrêta d'Écrire. Couverture noire, sans code-barre ni pitch de merde au verso. Et donc, le petit homme qui avait décidé d'arrêter d'écrire en 2010 (pari tenu, le livre du même nom restant son pire échec littéraire, sa plus grosse daube bâclée) a finalement remis le couvert. De quoi Nabe parle-t-il durant ces quelques 250 pages ? De l'affaire DSK, racontée par DSK. Le style nabien n'est toujours pas de retour. Certes, ici et là, des phrases provoquent des sourires en coin, demandent à être relues tellement leurs constructions sont belles, sonores, d'évidence. Mais pas non plus de quoi donner envie de crier au réveil du génie. L'exercice a bien sûr exigé d'aller vite, de surfer sur la réalité du moment et donc de jongler entre journalisme et véritable travail de création. Marrant d'ailleurs, pratiquement au même instant, Sportès et Nabe sortent chacun un livre basé sur un fait divers brûlant. On avance quand même, on rigole souvent. Nabe délaisse ici la littérature et entre dans le gaguesque, l'anecotique potentiellement poilant. Anne Sinclair en obsédée de la Shoah, Martine Aubry en bouledogue de compagnie, Tristane Banon en nymphomane flinguée de la tête, DSK en antisémite solitaire et goguenard, en enfant perdu, presque sympathique: on rit donc souvent, on veut connaître la suite, revivre tout ça mais du point de vue de Nabe. Alors on progresse, on rit encore et toujours. On a oublié le style, la force, la vision et on se contente de la facilité séductrice, des bons mots, des décalages, des interprétations. Ce livre, c'est presque un vaudeville, une pièce de boulevard. Il faut le lire ainsi. Jamais autrement. Nabe est balèze, il publie à l'entrée de l'hiver un bouquin destiné aux plages estivales. L'Enculé, c'est typiquement l'ouvrage idéal pour rire de la saloperie humaine loin des tracas du quotidien. Sur une plage donc ou dans un camping auvergnat ou depuis un parc londonien. À l'heure où j'écris ces lignes, il me reste une centaine de pages à parcourir. Peut-être qu'elles dégagent une force philosophique totale, un prophétisme noir et impressionnant et alors peut-être aussi que cette petite chronique tombera à plat...
Peu importe. Nabe est à l'image de l'époque. Plus à l'aise dans la fiction documentaire que dans la grande épopée. On ne lui en veut pas. On est même ravi à l'idée que ce soir dimanche, après Bordeaux-PSG, on va pouvoir replonger dans les aventures de Dominique et de sa queue, de sa femme ogresse et de ses courtisans pitoyables. On aurait juste aimé ne pas se faire mettre à l'heure de l'addition. Trop tard... Je, tu, elle, nous, vous, ils sont l'Enculé.
Photo & Texte - Jérôme Reijasse
Bonus :