Jérôme Reijasse n'a peut-être même pas 40 ans. Supporter du PSG, donc homme déçu. Écrivain (Parc). Journaliste chez Rock'n Folk. Traducteur pour les rockeurs à la télé. Lyrique. Exalté. Capable de trouver des raisons de vivre valables dans un groupe ou un artiste encore incontrôlé. Proposera chaque lundi (même si des fois ça tombe le mardi ou le mercredi) désormais ses 7 Jours loin du monde aux lecteurs du Gri-Gri.
Semaine paradoxale, aérienne et cauchemardesque.
Dans mon appartement, un petit homme qui dort beaucoup et pleure seulement quand il a faim. Jules. Je le regarde, là, dans mes bras, respirer avec application et je l’aime. Il ne faut évidemment pas en écrire des tonnes, tout a déjà été raconté là-dessus. Un père et son enfant. Éternité.
Quand ses petites mains accrochent mon cœur, je pourrais ne plus rien faire. Simplement le fixer, encore et encore. L’étreindre, lui promettre l’impossible. L’amour est décidément le dernier combat. La haine se brade à chaque coin de rue. Trop facile, évidence crasse.
Voilà pour la semaine aérienne.
Côté cauchemar, lundi, il a fallu que j’assume mes responsabilités de petit chef. Et que je renvoie une chroniqueuse. Motif : pas assez performante, pas assez broadcast comme on dit dans le milieu. Fatou B., une meuf pourtant valable, un regard qui cisaille les certitudes, une existence pas facile, sans filet ni raccourci. Des tatouages pas décoratifs. Une promesse de générosité qui n’aura pas eu le temps de s’installer. Une déchirure. Je me revois en train de composer son numéro, la peur au bide, la honte à peine cachée derrière des excuses déjà de circonstance. Saloperie. Allo, Fatou ? Jérôme. Écoute, c’est nul mais… Elle : Te casse pas, j’ai compris, je suis virée, c’est ça ? Oui. Je crois qu’elle a pleuré. Je crois que je me sui haï, là, au moment de jouer les bourreaux de pacotille. La télévision est une poubelle au fumier crevé. Si une fleur force le passage, tente de toucher le soleil, on la ratiboise sans scrupule. Fatou n’était pas une professionnelle, pas une bimbo ni une carriériste. Juste une femme désireuse d’exister un peu, devant une caméra, pour voir ce que ça faisait, pour montrer peut-être aussi au monde qu’elle pouvait y parvenir, qu’elle pouvait revendiquer quelques euros, pourquoi pas ? Tous les autres se gavent et on lui refuserait de grignoter ? Tristesse. Qu’enfin, elle avait droit elle aussi à l’espérance, même sur la TNT à une heure d’écoute molle. Même pour rien.
Non. Bye bye, sacrifiée sur l’autel de l’efficacité. Rien de grave non plus. Elle rebondira, j’en suis convaincu. Mais l’échec pour moi est tangible. Je n’ai pas réussi à l’imposer. Je n’ai pas su assez la porter. Pas facile de mener ses troupes à la victoire. Pas facile de dire à Fatou que tout s’arrête. Je ne serai jamais un leader. Ma lâcheté a de quoi faire peur. Le soir, je cours pour retrouver mon fils, je lui demande le pardon. L’oubli.
Seule la nuit parviendra à étancher le dégoût.
Mardi, je me faufile entre les obligations et je fonce voir le film Drive de Nicolas Winding Refn (Pusher, Bronson, Valhalla Rising, que du lourd, le mec est un génie !). Difficile de passer après la vague de louanges médiatiques. Cette virée nocturne dans un Los Angeles loin du glamour habituel m’a bouleversé. L’acteur beau gosse Ryan Gosling joue les anges vengeurs au volant d’une Amérique en décomposition, le mot rare, les yeux incandescents, le poing fatal, le blouson tout droit sorti d’un épisode oublié de Karaté Kid et le cheveu presque tantouze, il ressuscite les héros solitaires et crépusculaires du cinéma yankee. Les moteurs ici rugissent, complaintes d’un monde zombifié, les existences s’imposent des solitudes de marbre. L’amour est un souvenir, qui ne renaîtra qu’avec un sacrifice. C’est simplement somptueux.
Texte & photo - Jérôme Reijasse