« …à l’inverse de ce qui s’est passé dans l’Afrique Occidentale Britannique, c’est le gouvernement français qui détermina véritablement la concession et le calendrier de l’indépendance en Afrique-Occidentale française et non les nationalistes africains. » (Histoire générale de l’Afrique, vol VIII, UNESCO, p.212)
On se demande bien ce que célèbrent les Togolais lorsqu’ils fêtent l’indépendance. Olympio, comme le Christophe de la Tragédie, avait payé de sa vie d’avoir rêvé d’une destinée trop grande pour son peuple. Issu d’une famille de négociants mulâtres d’origine brésilienne, il avait fait ses études à Londres et en Allemagne et parlait six langues. Il n’était pas « de fabrication française ». Il voulait bâtir un port à Lomé et créer une monnaie frappée par les Anglais et garantie par la Bundesbank. La rupture avec la Banque de France devait être ratifié le 15 Octobre 1963, il fut assassiné le 13 du même mois. C’est ainsi que cet ancien protectorat confié à la France par la SDN devint une colonie Française. C’est Olympio que les Togolais ne méritaient pas, c’est Eyadema (père et fils) qui leur ressemble.
De même que le référendum de 1958 était destiné à réformer l’idée coloniale pour mieux soustraire les colonies françaises aux puissances de la guerre froide, le discours de la Baule, en Juin 1990, appelant à un renouveau démocratique en Afrique subsaharienne, adaptait la politique française à l’évolutions du contexte international. La France ne pouvait pas ignorer la chute du mur de Berlin, la libération de Mandela et l’indépendance de la Namibie. Elle donna un ordre, et l’ordre fut entendu. Dès le 5 octobre, les Togolais se réveillèrent...
Comment a-t-on pu croire au Togo que la France qui depuis quarante ans soutient la dynastie des Eyadema pouvait servir d’intercesseur dans un processus démocratique auquel elle participait au nom du néocolonialisme humanitaire ? Il faudrait cliniquement étudier la stratégie de la défaite au Togo, ou comment un peuple tout entier à l’écart du siècle a su inventer « l’Indifférence ». 4 millions d’hommes qui ne peuvent plus avancer à cause de la mer et dont la moitié en veut terriblement à l’autre de ne pas être née dans le Sud. « Querelle de poux, querelle de chiens pour l’os ». On s’invente des maux, on se dilue dans des histoires, on se dit gouverné par un despote que l’on ne cesse de diaboliser tous les jours pour mieux excuser son propre lymphatisme. Et c’est dans ce jeu de la diabolisation que s’installe la catharsis collective : l’évacuation des responsabilités, le transfert des agressivités dans des anathèmes imaginaires. Ou on feint l’indignation, ou on mime la révolte.
On ne s’insurge que lorsqu’on est prêt a mourir ; et mourir pour une cause, c’est reconnaître implicitement que l’on est prêt à tuer pour qu’elle triomphe. Hélas, l’âme togolaise est bien trop habituée á s’abîmer dans l’excuse.
Enfant, on nous enseignait l’unicité et la splendeur des origines, les bienfaits d’une société communautaire fondée sur l’entraide et le partage. L’infériorité économique se compensait par une sorte de supériorité morale, entendue, qui nous avait préservés de la corruption morale de l’Occident. Et tout cela participait d’une amnésie affective qui permettait de mieux tolérer l’administrateur français couleur locale qui n’hésitait pas à engloutir le budget d’un hôpital de province dans un sac Hermes acheté á sa femme.
Togolais, si vous pensez avoir été grand, sachez qu'aujourd’hui vous n’ êtes plus que les mendiants du monde.
Sérigne Seck
PS : cet article est paru à l'été 2006 dans les colonnes du Gri-Gri