Début 2014. L’histoire de la littérature hip-hop, cellule dormante et branche aristocratique de la sous-culture banlieusarde allait, enfin !, subir un électrochoc.
Le minutieux et patient travail de collecte des statuts de Sear était achevé. Le livre trouvait sa forme. Colossale, torrentielle et totale.
Un collège regroupant le gotha du ghetto littéraire montreuillo-parisisien avait tranché : Interdit aux bâtards contiendrait TOUS les statuts pondus par Sear. Pas le meilleur seulement. Puisque tout était le meilleur. « Tout ici est nectar, messieurs », s’écriait même l’un d’eux. Nous avions passé plusieurs week-ends à lire et relire ensemble et à voix haute TOUTES ces fulgurances auxquelles nous nous étions malgré nous habitué. À force de côtoyer le génie, on le minore. Impossible d'en ôter un mot sans déséquilibrer et dénaturer l'ensemble. Même les titres de morceaux de funk, de soul ou de rap devaient nécessairement figurer dans le livre. Avec la valeur, l’importance de phrases. Pour des raisons sonores évidentes, esthétiques, mais aussi rythmiques. En des espaces secrets, que seuls connaissent les créateurs et les Facteur Cheval, Sear avait orchestré cette symphonie dysfonctionnelle, presque free jazz par endroits (les frénétiques répétitions jusqu'à saturation des vannes sur Edith, du La Tourette appliqué et artistisé). Tout et tous se répondaient en se répandant les uns dans les autres ; l’étrange cerveau de l’auteur étant capable d’oublier ce qu’il avait dit la veille et de se souvenir d’un douteux choix d’adjectif dans un statut du 27 mai 2009.
Il y avait du Mikado dans cet amas de mots. De sons, de sens, de sexe et de maux.
Oui, de sexe. Une des cordes favorites du violoniste désespéré qu’est parfois Sear. Ce qui lui coûta souvent cher, le milieu hip-hop parisien, qui se jetait sur les interviews d’actrices X dans Get Busy, se montrait officiellement pudibond et se désolait qu’en nos pages se mêlassent rap, politique et pornographie. On parla d’acquérir les droits de plusieurs séquences porno cultes, comme il fut question aussi de racheter les droits de 300 ou 400 morceaux de musique pour accompagner cet Himalaya littéraire. De Black Sabbath (période Ozzy, naturellement) à Patrick Topaloff, en passant par Eric B & Rakim, PE, Roberta Flack et Heavy D. En vue d’un aventureux mais séduisant e-book illustré et audio.
Les tracas juridiques nous firent malheureusement renoncer à cet avant-gardiste projet.
Les éditions du Diable Vauvert essayèrent bien de nous griller la politesse en publiant en même temps que nous un recueil de « tweets » d’Oxmo Puccino. Diamétralement opposée à la nôtre, leur démarche, outre qu’elle allait bénéficier de tous les réseaux et créneaux de la culture officielle, avait consisté à sélectionner et trier les « pensées » du rappeur futur animateur télé. Car à les en croire, lui donnait plutôt dans la petite philo réconfortante et cocoonisante, la morale quotidienne sympa, le feel good individuel et le love tout le monde. Traduction plausible : aux antipodes de l’haineux, méchant et obscène brûlot de Sear auquel nous comprîmes qu’ils ne souhaitaient pas être associés. Ce qui nous convenait parfaitement. À eux France-cul et France Inter. Télérama sûrement. Le Monde2. La culture officielle. Le rap à instruments qui fait un peu pitié musicalement. Les clubs poetry où slammer.
De la première à la dernière phrase, Interdit aux bâtards fermait toutes ces portes.
Aussi me hâtais-je de proposer à la directrice du Diable Vauvert d’envoyer nos bouquins ensemble aux journalistes et de leur présenter un combo, un ticket Sear / Oxmo, pour définitivement condamner toute possibilité de rapprochement malencontreux. Comme escompté, pas de réponse. À partir de là, ils nous fuiraient. Place nette.
Il n’en restera qu’un, rappait Booba.
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Une armée d’internautes ingénieux prit en charge une partie de notre communication sur les réseaux sociaux. Être à la hauteur du contenu explosif, cru, dérangeant du livre était leur leitmotiv. Ce qui donna lieu aux parfois regrettables débordements visibles ci-dessous.
Bonus
Disiz la Peste invita Sear / Get Busy à apparaître dans un de ses clips.
La preuve ci-dessous.